En amour, c’est connu, il y a ceux qui proposent et ceux qui disposent. En ce mercredi 19 octobre, dans une élégante salle de l’hôtel Scribe à Paris, ceux qui proposent, ce sont les acteurs du Grand Paris, qui présentent les gigantesques possibilités d’investissement autour des 200 kilomètres à venir du futur métro Grand Paris Express et des 225 hectares de sites d’aménagement urbain qui vont avec. Ceux qui disposent, ce sont les 21 investisseurs chinois poliment assis sur les chaises. Pas tout à fait du menu fretin. Il y a là, par exemple, le vice-président de China State Construction Engineering Corporation (CSCE), 270 milliards de dollars (248 milliards d’euros) de chiffre d’affaires (plus de la moitié du budget de la France).
On n'est certes pas dans le registre amoureux mais dans celui de la séduction, ça oui. Il s'agit de convaincre ces messieurs et quelques dames qui ont fait le trajet depuis la Chine que le Grand Paris est un placement en or. La puissance invitante est «Paris-Ile-de-France capitale économique», un organisme monté il y a dix ans par la chambre de commerce et d'industrie Paris Ile-de-France pour «vendre» la perspective du Grand Paris aux acteurs économiques mondiaux. D'ordinaire, le petit groupe de Paris capitale économique, dirigé par Chiara Corazza, emmène quelques grands patrons français porter la bonne parole à l'étranger au cours de road shows.
Cette fois-ci, elle a convaincu les Chinois de venir se faire une opinion sur place. Deux jours pour un numéro de charme bien au point. «Depuis 2005, nous allons régulièrement en Chine», explique-t-elle. Bénéficiant du «soutien de l'Etat» et de la «marque Paris», la zone mérite d'être considérée. Et vu qu'en 2015, les investissements chinois à l'étranger ont dépassé le montant de ceux à l'intérieur (130 milliards d'euros, un record), les Français tentent d'en faire atterrir une partie… en France. Logique. De plus, quand les Chinois veulent construire un centre commercial à Dubaï, par exemple, ils savent qu'ils vont payer toutes les infrastructures autour. En France, les pouvoirs publics s'en chargent. «C'est fourni sur un plateau d'argent», résume Chiara Corazza.
Quelques perfidies
Les pouvoirs publics, les voici, en la personne d'Emmanuel Lenain, représentant du ministère des Affaires étrangères, ancien consul général de France à Shanghai et donc capable de commencer par trois phrases en mandarin. On l'applaudit. A lui le tableau de la grande France, «premier pays à avoir reconnu la République populaire de Chine», grâce au général de Gaulle s'il vous plaît. Le voilà qui liste «dix raisons d'investir en France», dont «les coûts d'implantation beaucoup plus faibles qu'ailleurs» (le «plateau d'argent») et surtout «deux fois moins chers qu'en Grande-Bretagne». Le contexte de Brexit permet de s'autoriser quelques perfidies. C'est de bonne guerre. Après les atouts, les idées reçues. «On dit souvent que les taux d'imposition en France sont les plus élevés.» Or, assure Emmanuel Lenain, «sur la fiscalité des personnes, la taxation à 75 % ne verra jamais le jour. Le régime fiscal est très favorable aux "impatriés" [les collaborateurs étrangers en France]. Soyez certains, ajoute-t-il, que les services de l'Etat seront à vos côtés».
Au micro défilent ensuite les représentants de la Caisse des dépôts, du notariat, des avocats, de la métropole du Grand Paris, de la société du Grand Paris, qui vient de lancer le chantier de 205 kilomètres de métro automatique en région parisienne. «100 milliards d'investissements attendus d'ici 2030», soit «une opportunité unique pour les investisseurs chinois», s'enthousiasme le président de la CCI-Paris Ile-de-France, Jean-Paul Vermès.
L'Etat va libérer 225 hectares de terrains à aménager le long des lignes du métro et de son côté, la métropole du Grand Paris a lancé un appel à projets qui concernera à terme 112 sites. «On va vous donner toutes les fiches», promet Patrick Ollier, son président, non sans un certain sens pratique.
Pour convaincre, les Français cochent les cases une à une, y compris les évidences comme le droit de propriété, «qui est constitutionnel et très ancien», explique le président de la chambre des notaires de Paris, Pascal Chassaing. Bref, tout pour rassurer.
Flatteries
Bruno Bézard, ex-directeur du Trésor qui a pantouflé dans le fonds d'investissement Cathay Capital, se répand en compliments sur la Chine, éloges nourris par ses dîners en ville (à Shanghai) et sa riche expérience de la vie quotidienne là-bas : «Depuis trois mois, je n'ai pas touché un billet de banque parce que je paie avec We Chat !» Les Chinois sont-ils sensibles à ces flatteries ? Ivan Ko, vingt-quatre ans d'expérience dans les investissements immobiliers, installé à Hongkong, offre d'abord ce conseil à la salle : «Pour attirer les investissseurs chinois, vous devez les comprendre.» Quelques éléments pour y parvenir. A savoir : premièrement, les Chinois apprécient «le long terme» et «viennent de plus en plus pour rester». Avec le Grand Paris Express, et ses 25 milliards de financement sur trente ans, c'est bon. Deuxièmement, ils «aiment les projets stratégiques». Servi. Troisièmement, ils veulent «des rentrées en devises». Garanti. Quatrièmement, «ils sont souvent issus de la seconde génération qui a fait ses études à l'étranger» (sous-entendu ne les prenez pas pour des billes). «Les Chinois, ajoute enfin Ivan Ko, adorent être propriétaires et associés de référence dans un projet. Ils ne veulent pas de position secondaire.»
De fait, ces deux jours de visite doivent aussi permettre des rencontres. «Nous avons sélectionné des industriels chinois qui voudraient aussi voir comment devenir partenaires des grands opérateurs français du bâtiment ou de la smart-city», explique Chiara Corazza. Justement, certains d'entre eux sont ici. Et pas n'importe lesquels. Suez est représenté par le directeur général de sa division Recyclage & Valorisation, Philippe Maillard. Qui revendique «200 ingénieurs pour développer des solutions eau et déchets».
Dassault Systèmes a envoyé son directeur de 3D Experience City, Frédéric Dot, décrire les dispositifs de pilotage des villes que la firme a mis au point. Enfin, Bouygues a délégué Eric Mazoyer, directeur général de Bouygues Immobilier, pour décrire les avancées du groupe sur les questions énergétiques appliquées aux bâtiments et même à des quartiers entiers. Après s'être déclaré «très honoré de pouvoir présenter notre société à un panel d'investisseurs chinois comme celui-là», Eric Mazoyer en est venu directement au fait : «Pour acquérir des actifs, nous cherchons des partenaires comme vous.» Il a même osé un bon mot dans la foulée : «On ne prend pas les chèques aujourd'hui mais on est à votre disposition…» Rires dans la salle.
Ducasse
Durant toute cette journée, il s'agissait pour les Français de mettre en avant, outre les multiples qualités du pays, le projet du métro Grand Paris Express. «Encore une fois, des chantiers comme ça, il n'y en a pas tous les dix ans en France», a plaidé Philippe Pronost, directeur général adjoint de la branche internationale de la Caisse des dépôts.
Vu de France certes, mais vu de Chine ? Zheng Xuexuan, vice président du constructeur CSCEC, quatrième entreprise ce Chine, a recensé au micro les réalisations de sa firme : 90 % des tours de son pays, la plus grande gare d'Asie, des aéroports, des autoroutes… 5 000 projets dans plus de 130 pays. «Le Grand Paris rentre très bien dans nos objectifs», a-t-il dit. Mais attention : «Il nous faudra un partenaire qui mérite notre confiance.»
Au programme du soir : dîner à l'hôtel Meurice pour déguster la cuisine de Ducasse. Le lendemain : visite de programmes innovants à Issy-les Moulineaux et à la Plaine Saint Denis. Plus celle d'un hôtel particulier parisien hors de prix mais à vendre. Réception finale à l'Hôtel de ville avec madame la maire, Anne Hidalgo. Et pas le Moulin-Rouge ? «Ah, non !», s'écrie Chiara Corazza.
Londres prépare sa riposte fiscale
Dans les arguments mis en avant par la France pour attirer les investisseurs étrangers, figure le Brexit. Lors du séminaire franco-chinois du 19 octobre, les participants français ont régulièrement rappelé que l’image de Londres était sérieusement écornée. «Londres, c’est rock’n’roll», a dit l’un. «Plus personne ne veut investir à Londres», affirmait un autre. Est-ce si sûr ? Dimanche, le Sunday Times affirmait que l’entourage de la Première ministre, Theresa May, étudiait une diminution des taxes des entreprises créant, de fait, un paradis fiscal en Grande-Bretagne. Cela pour compenser la perte du «passeport financier» qui donne accès au marché de l’Union. D’après une source anonyme citée par le Sunday Times, Londres a encore «quelques bonnes cartes à jouer». La British Bankers’ Association estime quand même que «la plupart des banques internationales» sont sur le départ.