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Analyse

La méthode Janaillac : faire le vide et ménager les pilotes

Le nouveau patron du groupe a pris ses fonctions en évinçant plusieurs membres de la direction. Une façon d’acheter la paix sociale avec les syndicats.
par Alain Franck
publié le 2 novembre 2016 à 20h11

Il est arrivé presque seul et avec une volonté affichée de calmer le jeu. Lorsque le 4 juillet, Jean-Marc Janaillac débarque à Roissy pour prendre ses fonctions de PDG d’Air France-KLM, il n’est accompagné que du secrétaire général de Transdev, l’entreprise de transports urbains qu’il dirigeait précédemment. Sans barguigner, il conserve la même assistante que son prédecesseur et s’installe au cinquième étage du siège de la compagnie, dans le bureau en open space aménagé sur un grand plateau par Alexandre de Juniac. A 63 ans et après une longue carrière qu’il décrit volontiers comme derrière lui, le nouveau boss se pose en pacificateur d’une entreprise où la dimension sociale pèse au moins autant que les choix stratégiques et financiers. Cent dix-huit jours après sa nomination, Jean-Marc Janaillac a, pour le moment, calmé les conflits avec les syndicats de pilotes et d’hôtesses et réorganisé toute la direction générale.

Concessions. Le premier à en avoir fait les frais est l'ancien numéro 2 du groupe, Frédéric Gagey, qui s'est vu rétrogradé du rang de PDG d'Air France à celui de directeur financier d'Air France-KLM. En fait, Gagey paie les trois dernières grèves organisées par les pilotes et les hôtesses, pour lesquelles il a négocié en première ligne et sans faire beaucoup de concessions. Le retour aux bénéfices, dont il est l'artisan, n'a pas suffi. «Les navigants ont demandé son scalp et ils l'ont obtenu. On sacrifie un dirigeant pour plaire aux pilotes», juge sévèrement un membre du conseil d'administration qui siège depuis plusieurs années. «Nous n'avons demandé le scalp de personne, mais il y avait un constat de blocage», veut nuancer la secrétaire générale du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), Véronique Damon.

Avec Janaillac, il y a du renouvellement dans l'air. Le directeur des ressources humaines d'Air France, Xavier Broseta, désormais mondialement connu pour sa chemise déchirée à l'issue d'un comité d'entreprise mouvementé, est parti sans faire de bruit pour le groupe Bolloré. Le directeur financier, lui, a fait ses valises pour le Danemark… «Il n'a pas vraiment cherché à les retenir», constate, un brin cynique, un leader syndical. Voilà pour le côté abrupt, qui n'est pas sans rappeler la méthode employée par Janaillac afin de prendre le pouvoir et redresser Transdev, un géant de 90 000 salariés qui fait rouler des trains, des bus et des tramways à travers le monde. Au rayon séduction, le nouveau commandant en chef d'Air France-KLM a voulu, d'entrée, restaurer un minimum de dialogue et d'empathie avec les représentants des salariés. Il faut dire que son prédécesseur, Alexandre de Juniac, était en conflit avec la quasi-totalité des organisations syndicales.

Western. Résultat, avant même d'être officiellement en fonction, Janaillac a obtenu, le 21 juin, la levée d'un préavis de grève des pilotes. La négociation s'est déroulée dans un cabinet d'avocat. Devant des navigants un peu étonnés, le PDG lit une déclaration dans laquelle il propose aux pilotes de stopper leur mouvement de grève contre une reprise des négociations quelques mois plus tard dans un climat apaisé. Ça marche. Alors, ce camarade de promotion de François Hollande - Janaillac s'agace lorsqu'on évoque ce lien - joue la même carte, quelques semaines plus tard avec les hôtesses et stewards. Le 3 août, les personnels navigants stoppent leur grève au septième jour, en échange là encore de discussions ultérieures. Manière de cacher la poussière sous le tapis ? Une date butoir a été fixée au mois de février, pour que ces négociations aboutissent. «Nous avons fait le pari de la confiance, nous espérons que nous ne serons pas déçus», lance Véronique Damon en pesant chacun de ses mots. Revendication à l'appui : «Les pilotes de la compagnie américaine Delta Arlines [associée à Air France dans l'alliance Skyteam, ndlr] ont obtenu 30 % d'augmentation sur trois ans.» Janaillac ? «Il est attendu au tournant sur l'emploi et le périmètre de l'entreprise», prévient de son côté un pilier de la CGT. Après l'état de grâce, le retour à la réalité s'annonce rude.