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Libération

Ubisoft passe au niveau 30

De «Zombi», sur Amstrad en 1986, à la sortie en décembre du film «Assassin’s Creed», en passant par «Rayman», l’entreprise bretonne de jeux vidéo n’a eu de cesse de se développer. Surprenant pour une société spécialisée à l’origine dans le matériel destiné aux exploitations agricoles.
Altaïr, héros du premier «Assassin’s Creed», sorti en 2007. (Photos Ubisoft)
publié le 17 novembre 2016 à 19h06

On a beaucoup parlé d'Ubisoft ces derniers mois. Surtout depuis qu'un certain Vincent Bolloré s'est mis en tête de prendre la main sur le représentant le plus emblématique du jeu vidéo d'origine hexagonale. D'Ubisoft, on connaît surtout aujourd'hui la saga Assassin's Creed, les Lapins crétins, les univers d'anticipation militarisés estampillés Tom Clancy et, pour ceux qui aiment bouger leur corps, la série Just Dance. Mais Ubisoft, qui fête cette année ses trente ans, c'est avant tout l'histoire d'une marche forcée vers l'avenir. Une entreprise qui n'a jamais connu de point d'équilibre, contrainte de toujours avancer avec, très souvent, le risque de se planter. C'est aussi l'histoire d'un éditeur qui s'est construit sur les jeux. D'abord ceux des autres, avant d'imprimer sa marque sur l'industrie, ces dernières années, en se concentrant sur ses propres productions.

1986 «Zombi»

Tout commence au début des années 80, quand cinq frères s'attellent à diversifier l'activité de l'entreprise familiale, le groupe Guillemot, spécialisé dans la vente de produits à destination des exploitations agricoles du Morbihan, notamment du matériel informatique. Comme l'explique la biographie officielle d'Ubisoft qui vient de sortir (1), c'est Michel Guillemot qui, en 1984, lance la société dans le secteur du jeu vidéo, en important des jeux du Royaume-Uni et en les revendant par correspondance en France. Suite au succès de cette première approche, la fratrie décide de créer en mars 1986 une entité spécialisée, Ubi Soft (en deux mots, à l'époque) pour intensifier l'activité de distribution et afin d'éditer ses propres titres, développés par des créateurs indépendants. Le premier d'entre eux sort d'ailleurs le même mois : Zombi, sur Amstrad, un jeu d'aventure inspiré par le film Zombie de George Romero. En 1988, Ubi Soft tente une aventure originale. La société installe ses développeurs dans un château du Morbihan. Parmi eux, le très jeune et très doué Michel Ancel. L'expérience ne dure qu'un an, mais elle convainc l'éditeur de se lancer dans des productions plus importantes en interne. Dans la même logique, le premier studio Ubisoft à l'étranger ouvre en 1990, à Bucarest.

1995 Rayman

Pensé comme une production indépendante par Michel Ancel, Rayman va très vite attirer l'attention des patrons d'Ubi et de Serge Hascoët, en charge des productions internes (il dirige encore aujourd'hui la partie éditoriale d'Ubi Soft). C'est un jeu de plateforme avec un héros attachant, et le projet est ambitieux. D'abord prévu pour la Super Nintendo, le premier jeu produit par une équipe interne d'Ubi va finalement accompagner le lancement de la Playstation en 1995. Le succès n'est pas immédiat (il n'est pas en 3D, ce qui est l'argument majeur de vente de la console de Sony) mais il cartonne sur la durée (plus de 3 millions d'exemplaires ont été vendus depuis, toutes plateformes confondues). Heureusement pour Ubi Soft, qui ne pouvait pas se permettre un échec avec un développement estimé à 14 millions de francs.

La direction est prise : Ubi existe en tant que créateur de jeux sur la scène internationale. En juin 1996, l’entreprise réussit son introduction en Bourse et obtient assez de liquidités pour lancer de nouveau studios dont, en 1997, celui de Montréal, qui deviendra, grâce à de très importants crédits d’impôts, le vaisseau amiral de la production d’Ubi Soft. Le dernier événement d’importance de cette période de déploiement, est l’acquisition, en 2000, du studio Red Storm créé par l’écrivain Tom Clancy, qui permet au français de jouir d’une licence forte sur le territoire américain.

2002 «Splinter Cell»

Au début des années 2000, Ubi Soft s'est fait un nom, mais n'est pas vraiment reconnu en tant que créateur marquant, au-delà de Rayman, qui est devenu entre-temps une licence (avec un deuxième épisode et des produits dérivés). Tout change fin 2002 avec la sortie de Splinter Cell, qui est le premier véritable blockbuster produit en interne, à Montréal. Les aventures de l'agent secret Sam Fisher s'imposent immédiatement comme une référence du jeu d'infiltration et montrent l'étendue de la maîtrise technique des équipes d'Ubi (notamment, à l'époque, sur la gestion dynamique de la lumière). Fin 2003 sortent coup sur coup Prince of Persia, Beyond Good and Evil et XIII, trois très bons jeux qui finissent d'introduire l'éditeur dans la cour des grands. C'est également l'occasion pour Ubi Soft de devenir Ubisoft et de se choisir un nouveau logo, qui est encore le sien aujourd'hui. Les années qui suivent, la société poursuit son activité de production et intensifie dans le même temps son rôle d'éditeur en signant de nombreux jeux d'autres studios.

2007 «Assassin’s Creed»

Ubisoft se diversifie donc énormément et continue de sortir quelques superproductions, principalement basées sur Prince of Persia et les licences estampillées Tom Clancy : Splinter Cell, Ghost Recon et Rainbow Six. Avec l'arrivée de la DS et de la Wii de Nintendo, le français va par ailleurs étendre son catalogue avec des jeux techniquement moins ambitieux mais souvent rentables. C'est ainsi que le nombre de sorties annuelles va passer d'une trentaine en 2005 à plus de 60 en 2006 pour dépasser 80 en 2008 et 2009. Mais dans la masse, deux titres vont s'avérer très importants pour la suite. Le premier, c'est, en 2006, Rayman contre les lapins crétins. Si le jeu lui-même est très plaisant, c'est surtout la première apparition des créatures les plus débiles de l'univers connu. Et c'est aussi ce titre qui, dans un des nombreux minijeux, établit les prémices de ce qui deviendra plus tard Just Dance. Le second, c'est bien sûr Assassin's Creed. Sorti en 2007, il est la fondation des superproductions d'Ubisoft de la décennie suivante : un monde ouvert mettant en scène un univers propre, une focalisation sur l'expérience de jeu et un savoir-faire technique à la hauteur. Assassin's Creed connaît un deuxième épisode (brillant) en 2009, puis un (ou plus) par an, jusqu'en 2015. A partir de 2010, Ubisoft se concentre sur ses jeux produits en interne et limite ses sorties à une trentaine par an.

2016 «The Division», «Watch Dogs 2» et le cinéma

C'est une année charnière pour Ubisoft, qui compte aujourd'hui plus de 10 000 salariés à travers le monde pour 1,4 milliard d'euros de chiffre d'affaires. Il y a bien sûr la menace Vivendi qui continue de grimper au capital (dernière augmentation en date, en forme de troll, le jour même de la fête officielle des trente ans de la boîte, début novembre), mais c'est surtout une année riche au niveau de la production, alors même qu'Assassin's Creed est en pause.

Les succès de The Division et Rainbow Six Siège assurent la présence d'Ubisoft sur le secteur de plus en plus important des jeux en ligne, Far Cry Primal et Watch Dogs 2 (lire ci-contre) continuent la fabrication d'univers, et Just Dance fait toujours danser les joueurs. Et puis ce sont aussi es premiers pas dans la production cinématographique avec le long-métrage Assassin's Creed, qui sort pour les fêtes. Avouons-le, on n'en attend pas grand-chose, mais c'est encore un pari sur l'avenir. Et ces paris-là, c'est depuis trente ans le carburant d'Ubisoft.

(1) Ubisoft, 30 ans de création, édition Les Deux Royaumes