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Galileo : le GPS européen entre en service

Le système de géolocalisation européen est utilisable à partir d’aujourd’hui par les personnes équipées d’une puce compatible. Il promet d’être meilleur que les concurrents américain et russe, dans un secteur très concurrentiel.
Modélisation du lancement des 4 satellites Galileo en novembre 2016 (ici, la séparation de la coiffe de la fusée). (Image P.Carril. ESA)
publié le 30 novembre 2016 à 16h53
(mis à jour le 15 décembre 2016 à 11h36)

Mise à jour du 15 décembre : Les services de Galileo sont officiellement activés ce jeudi. Les quelques personnes déjà équipées d’une puce compatible peuvent se géolocaliser avec les satellites européens... Les autres doivent attendre que ces puces se répandent sur le marché des smartphones, voitures et autres appareils GPS.

Le jeudi 17 novembre, le Cnes pouvait crier cocoricorbite : alors que la France envoyait dans l'espace son dixième astronaute depuis Baïkonour, au Kazakhstan, une fusée Ariane a décollé de Kourou en Guyane en emmenant avec elle quatre satellites Galileo. Désormais, avec une «constellation» de 15 satellites fonctionnels, le système de GPS européen est presque prêt à l'emploi.

Rallumage du moteur

Ce lancement de fin d'année a d'abord représenté un défi technique : ce n'est pas souvent qu'on lance quatre satellites de 715 kilos avec une même fusée pour les larguer à 23 000 kilomètres d'altitude. Pour gagner cette altitude, il a fallu d'abord s'arracher de l'atmosphère terrestre pour entrer en orbite, puis voler trois heures tous moteurs éteints – en «phase balistique», sans contraintes – avant de rallumer le moteur de l'étage supérieur (la tête de la fusée) (détail en PDF).

Cette manœuvre rare, déjà utilisée pour lancer la sonde Rosetta vers sa comète en 2004 par exemple, nécessite l'usage d'une fusée plus perfectionnée que le modèle standard. Cette fois-ci, c'était l'Ariane 5 ES, dont les précédentes missions consistaient à emmener un cargo de ravitaillement automatique (l'ATV) vers la station spatiale internationale, entre 2008 et 2014. Depuis, elle ne servait plus à rien… Mais Galileo lui fait reprendre du service : ce quadruple lancement de novembre 2016 sera suivi de deux autres missions similaires, en 2017 et 2018, pour enrichir encore la constellation Galileo.

Premier signal en décembre

L'objectif, c'est d'avoir une trentaine de satellites en orbite d'ici 2020, pour assurer un service de géolocalisation stable et puissant… Mais quinze suffisent déjà à le mettre en route. Ça tombe bien, le chiffre vient tout juste d'être atteint. 14 satellites avaient été lancés jusqu'ici, dont 1 hors-service et 2 sur une orbite foireuse qui ne leur permet que d'être utilisés par les bateaux pour leurs opérations de sauvetage, ce qui fait 11 satellites fonctionnels. Avec les 4 petits nouveaux lancés mi-novembre, le compte est bon.

Dès que les premiers signaux arriveront, au mois de décembre si tout se passe bien, les fabricants de puces GPS (comme Qualcomm ou Texas Instruments pour les plus gros) pourront fabriquer des puces compatibles. Il reviendra alors aux constructeurs de smartphones, de voitures, d’appareils GPS pour la randonnée ou la conduite d’installer ces puces pour que le grand public puisse profiter de ce système de positionnement européen. Comme il est interopérable avec les autres systèmes, comme le GPS américain et celui des Russes, les appareils pourront être bi- voire tri-compatibles et passer librement d’un signal à l’autre selon les conditions de réception.

Une triple concurrence

Les fabricants vont-ils jouer le jeu ? Jean-Yves Le Gall, président du Cnes, y croit : «Nous, on met en place le décor pour que les industriels viennent jouer dedans. Et notre décor est bien meilleur que celui des autres théâtres», confiait-il quelques jours avant le décollage. D'abord, Galileo va permettre une localisation plus précise que la concurrence, de l'ordre du mètre pour son service gratuit pour le grand public, là où les concurrents actuels «font du décamétrique». La précision monte au centimètre pour la version payante et commerciale de Galileo, et il faut ajouter la datation du signal, ainsi qu'un avantage inédit et exclusif : son authentification. C'est une sorte de clé de sécurité, envoyée par les satellites avec le signal de localisation, qui permet d'«avoir la garantie que le signal provient bien de Galileo et non d'un leurre». Avec ça, impossible par exemple de pirater un smartphone pour fausser sa localisation : le Cnes pense que ça plaira aux assurances, qui ont besoin de vérifier la véracité des déclarations de leurs clients en cas de sinistre avant de les indemniser.

La concurrence est rude dans le secteur de la géolocalisation. On trouve aujourd'hui en exploitation le système américain Global Positioning System, qui a donné le sigle générique de GPS, et le système russe Glonass – ces deux dispositifs ayant plus de trente ans – plus le chinois Beidou arrivé sur le marché en 2000. A son lancement, Galileo sera le plus précis, le plus résistant aux perturbations et le mieux conçu pour les lieux encaissés comme les «canyons urbains», ces rues bordées de bâtiments dans lesquelles le signal des satellites a du mal à s'engouffrer, car l'Europe vole à haute altitude. Là où le GPS américain tourne à 20 000 kilomètres d'altitude moyenne, Galileo monte à 23 222 kilomètres, ce qui lui donne un meilleur angle.

Un satellite Galileo. Image GSA (l'Agence du GNSS européen, qui sera chargée d'exploiter Galileo)

Mais les systèmes concurrents se modernisent eux aussi en remplaçant progressivement leurs satellites. La Russie a commencé à renouveler son stock en lançant les premiers satellites de nouvelle génération, Glonass-K. Les Américains entretiennent leur réseau avec des satellites de transition en attendant la grande vague du «GPS III» à partir de 2017. Quant à Beidou, il fonctionne uniquement en Chine pour le moment mais agrandit sa flotte de satellites, promettant une couverture mondiale en 2020. Il s'agira pour Galileo de conserver son avantage en intégrant lui aussi des améliorations régulières.

30% du PIB européen

De nombreux acteurs semblent en tout cas sur les starting-blocks. Depuis mai, Galileo est reconnu comme système de navigation maritime par l’Organisation maritime internationale (OMI). Son signal dédié aux opérations de recherche et sauvetage pourra donc être utilisé sur les bateaux, et même répondre aux balises de détresse des naufragés. La localisation précise intéresse particulièrement les transports, comme les voitures autonomes qui vont bientôt conquérir le monde, ou les taxis, les cars, les trains : «avec Galileo, un train pourra voir sur quelle voie il est» parmi plusieurs voies parallèles, promet Le Gall, selon qui la commission européenne estime que 30% du PIB européen dépendra des services GPS d’ici 2030. Enfin, quand on dit services GPS… On devrait parler de «services de géolocalisation». «Ça va prendre du temps», admet Jean-Yves Le Gall, mais à terme «l’objectif est qu’on ne dise plus “Galileo est le GPS européen” mais “GPS est le Galileo américain”.» Une ambition à la mesure de l’investissement – 10,5 milliards d’euros échelonnés entre 2008 et 2020.