L'immobilier n'est pas un secteur connu pour son intense créativité et si la profession devait avoir une devise, ce pourrait bien être : «Pourquoi changer ce qui marche depuis trente ans ?» Entre les immeubles du tertiaire qui se ressemblent tous et les appartements dans lesquels les chambres des enfants colleront pour toujours à celle des parents, les classiques ne sont pas bousculés.
Pourtant, en parcourant les allées du Salon de l’immobilier d’entreprise, le Simi, qui se tient à Paris jusqu’à ce vendredi, on peut voir de légers bougés. Dans ces métiers qui ont davantage l’inertie d’un paquebot que la vélocité d’un voilier, il se passe quelque chose. Comme si les acteurs de la profession avaient, enfin, découvert que la société avait changé.
Les bureaux (neufs) se vendent bien
Fini les stocks de millions de mètres carrés impossibles à caser. Ne restent invendables que les rossignols mal construits et mal entretenus dont personne ne veut. «Le marché est plutôt porteur», estime Aurélie Porée, directrice de la communication chez CBRE France, leader de l'investissement dans l'immobilier d'entreprise. Mieux : «L'offre de qualité commence à manquer.» A savoir, les édifices refaits aux normes de la cave au grenier et les programmes neufs qui poussent pourtant comme des champignons dans la métropole du Grand Paris. Au Simi, tous les territoires de banlieue vantent leurs mérites, leurs transports, leur verdure. Mais «on ne voit pas de mouvement pour franchir le périphérique sur le mode : "Quittons Paris !"», constate Aurélie Porée.
La vraie problématique des entreprises d'aujourd'hui, ajoute-t-elle, c'est «d'attirer les talents». Là-dessus, la capitale intra muros a des arguments qui portent. «Les start-up reconquièrent tout le centre de Paris». Blablacar s'est ainsi installé dans un vaste immeuble du quartier du Sentier, baptisé #cloud.paris. Le nom dit tout. La capitale française est maintenant «la deuxième ville après Londres dans les TechCities». Le Brexit va-t-il améliorer ses affaires ? La réponse que tous les professionnels donnent, c'est qu'on n'en sait encore rien.
Des immeubles écolos mais (surtout) technos
Le temps où le gardien gérait le stock des ampoules est bien fini. Les immeubles doivent désormais être au top sur le volet environnemental et conformes aux réglementations thermiques qui se succèdent. Quitte à ce que tout cela finisse par donner des bâtiments lourdement technologiques, qui réclament des talents de pilotage. Une fuite en avant ? «Les immeubles tertiaires étaient très énergivores. Aujourd'hui, un bâtiment vert, ça a une valeur sur le marché»,dit Riade Namane, ingénieur chez Climespace, filiale d'Engie spécialisée dans la climatisation via la connexion à un «réseau de froid». En amont d'un projet de construction, un «energy manager» aura fait tout le diagnostic. De là, des contrats «avec des clauses bonus malus qui nous engagent», résume Riade Namane. Se brancher sur cette innovation qu'est le réseau de Climespace est plus écologique que multiplier les climatiseurs. Et pour Engie, la création du réseau représente de l'activité en plus. L'environnement est présent «dans un dossier sur deux» quoique pas trop du côté des solutions d'énergie passive ou de ventilation naturelle. Quelques expériences de ce genre existent mais la tendance est plutôt à la création de nouvelles techniques, qui sont autant de nouveaux marchés. C'est bon pour les affaires. On voit d'ailleurs dans les allées du Simi des panneaux montrant d'orgueilleuses constructions bardées d'autant de logos de certification environnementale qu'une vache de concours multimédaillée dans un comice.
Des entrepôts (peut-être) moins déconnectés des villes
Incroyable : après quinze ans de développement de la vente en ligne, la question de la logistique en ville arrive enfin, mais ce ne sont pas Amazon, Cdiscount ou d'autres grands acteurs qui se la posent. «La logistique reste pour eux un centre de coûts», résume Jonathan Sebbane, directeur de la Sogaris, société publique qui gère, entre autres, le marché de Rungis. Ces géants du e-commerce préfèrent en effet la solution la moins chère, celle des entrepôts gigantesques, situés le plus loin possible des villes, là où le terrain coûte trois fois rien. Des norias de camion font le reste. Comme dit Jean-Bernard Bros, le président de la Sogaris, «la commande par l'ordinateur, ça marche mais la livraison n'arrive pas par l'écran».
A la porte de la Chapelle (Paris XIXe), la Sogaris va ouvrir un «hôtel logistique, premier du genre». Le plus audacieux dans ce projet, c'est que les marchandises arriveront par le train. Le site est sur le faisceau ferroviaire, ceci expliquant cela. A Beaugrenelle, sous des tours de logements, la Sogaris a également reconverti des parkings en base urbaine. Les gros camions de Chronopost arrivent deux fois par jour et leur chargement est réparti dans de petits véhicules. Un entrepôt classique crée un emploi par tranche de 1 000 mètres carrés. Une base urbaine, quinze. «Il faut que la logistique change de visage parce qu'elle a détruit beaucoup de territoires», dit Jonathan Sebbane. Oui, il faut.
La génération Y ne révolutionne (pas trop) le bureau
L'arrivée sur le marché du travail de la génération Y, née à la fin du siècle dernier, a bouleversé les certitudes des marchands d'immobilier tertiaire. On a un temps imaginé les jeunes moins sensibles à la hiérarchie, plus transgressifs, exigeants et connectés, et plus prompts à réclamer aux entreprises des canapés où s'affaler que de classiques postes de travail. L'aménagement de type Google, avec ses collaborateurs assis par terre et son toboggan pour descendre à la cafète, parut alors être l'avenir absolu de la vie de bureau. Mais voilà : la génération Y se révèle moins révolutionnaire que sa caricature. CBRE, numéro 1 mondial de l'installation des entreprises, a lancé cet automne une enquête sur douze pays pour cerner ce qu'attendaient en réalité les «millenials». En résumé : pas du tout ce qu'on pouvait croire. Si l'environnement de travail est meilleur, les sondés, âgés de 22 à 29 ans, se disent prêts à travailler pour une entreprise «de dimension plus modeste» ou moins renommée que les vedettes. Côté confort, 40 % demandent d'abord un restaurant, banal, mais aussi 35 % des «espaces et services de repos» et 28 % des lieux «de relaxation». Manifestement, la génération Y est consciente qu'elle va trimer. D'ailleurs, ils ne sont que 14 % à réclamer une salle de jeux. Mieux vaut la microsieste.
Autre curiosité, ces jeunes ne plébiscitent pas la grande métropole high-tech : 73 % trouvent les villes petites et moyennes plus attractives que les grandes (placées en première position par 53 % des sondés seulement) et 46 % trouvent le rural attractif. Enfin, 39 % espèrent ne pas avoir plus de trente minutes de trajet, ce qui fait des sondés français les plus exigeants dans les douze pays examinés. Si l'on ajoute à ces chiffres le fait que 66 % des sondés rêveraient d'avoir un bureau à eux, «l'idée selon laquelle l'espace de travail type d'un millennial serait le croisement entre une cafétéria et une chambre d'adolescent, coloré et ludique, relève plus du mythe que de la réalité», conclut CBRE. Face à ces données, il est probable que les aménageurs, qui ont le sentiment d'en avoir déjà fait beaucoup en introduisant en France les plateaux ouverts et en proposant maintenant des canapés dans les coins, doivent souffler.
Des promoteurs (futés) voient les habitants changer
Pas sûr qu'il faille mettre le terme «promoteur» au pluriel. Au Simi, il y en a au moins un qui s'est aperçu que la famille actuelle, ce n'était pas toujours papa-maman-deux enfants. «Aujourd'hui, nous sommes en train de construire un immeuble 100 % participatif», pose d'abord Franck Dondainas, président de Quartus et grand adepte de l'implication des habitants. L'édifice sera sur l'Ile-Saint-Denis. Quartus, qui se décrit comme un «ensemblier urbain indépendant», veut passer de «l'usuel à l'usage dans le cadre de l'expérimentation permanente et construite». Derrière cette rhétorique se cache du bon sens : dessiner des appartements pour les colocations («une salle de bains par chambre, un grand séjour, une cuisine ouverte»), partageables si besoin (avec des accès indépendants) ainsi que des immeubles comportant «un gîte urbain», autrement dit une chambre ou un studio réservable pour des visiteurs.
Quartus ayant regroupé cinq métiers – dont l'hôtellerie et les résidences seniors – le groupe veut proposer aux élus des quartiers quasiment clés en main. Et affirme qu'il peut y associer les habitants. A Nantes, sur le projet «îlink», 14 000 mètres carrés de logements et 8 000 de bureaux, la «conciergerie» du quartier a été élaborée par les habitants «avant même que les bâtiments sortent de terre», assure le dossier de presse. «On ne va pas bouleverser le modèle économique de l'immobilier mais on va travailler sur l'usage», dit Dondainas. C'est déjà ça.