Dans le quartier de Chongwenmen, la «porte de la Littérature exaltée», les Starbucks sont légion : de part et d’autre de ce grand carrefour commercial du sud de Pékin, quatre cafés de la célèbre chaîne américaine se font concurrence pour attirer les clients. Tous sont situés à deux minutes à pied l’un de l’autre, et pourtant, aucun ne désemplit. Ce vendredi midi, des dizaines de Pékinois commandaient, comme d’habitude, leur boisson favorite pendant que résonnaient dans l’air des chansons de Noël.
Parmi eux, Li, 26 ans, sirotait son mocha en compagnie d'une collègue. Employé chez Tongrentang, fameuse entreprise de pharmacopée traditionnelle née au XVIIe siècle, Li a bu sa première tasse de café «en 1995» quand il était lycéen. «Starbucks en Chine a encore beaucoup de potentiel, pronostique-t-il, les mains serrées autour de son gobelet cartonné. Dans les villes chinoises de premier rang, comme Pékin, Shanghai ou Canton, on en voit partout. Mais après, il y a toutes les villes de second rang, comme Wuhan ou Xi'an, où Starbucks est moins présent. Pour se développer, il faut que la marque cible l'arrière-pays !»
Justement, Starbucks a mis les bouchées doubles cette semaine en Chine – son deuxième marché mondial après les Etats-Unis – avec deux annonces emblématiques de sa percée fulgurante dans la patrie du thé. Mercredi, première salve à New York, la firme de Seattle a révélé qu’elle allait doubler en cinq ans le nombre de ses emplacements à travers le pays. Selon ce nouveau plan quinquennal rendu public le 7 décembre, Starbucks détiendra 5 000 cafés en Chine d’ici 2021, contre 2 500 aujourd’hui.
Paiement en ligne
Le groupe y est présent depuis 1999 et emploie déjà 30 000 personnes dans 118 villes chinoises. Chaque semaine, Starbucks sert cinq millions de Chinois, selon Belinda Wong, la PDG Chine de la multinationale. «Nous ne sommes qu'au premier chapitre, ce n'est que le début de notre croissance», avait affirmé la dirigeante de 44 ans dans un entretien, la semaine dernière, au South China Morning Post, le quotidien anglophone de référence à Hongkong. «Même dans les villes où nous sommes déjà présents, il y a encore plein de place à prendre.» Selon madame Wong, l'objectif est d'entrer dans dix à quinze nouvelles métropoles chinoises chaque année. Dans cinq ans, si tout se passe comme prévu, la Chine pourrait alors devenir le premier marché mondial de l'Américain.
Dans la foulée, seconde salve, Starbucks a annoncé jeudi 8 décembre un partenariat avec Tencent, le géant chinois de la messagerie instantanée avec son app' WeChat, utilisée par 846 millions d'utilisateurs. Depuis le 8 décembre, les Chinois peuvent régler leurs latte grâce à WeChat Pay, le service de paiement mobile associé à l'application du même nom. Jusqu'à présent, Starbucks en Chine n'acceptait que les paiements en espèces, par carte bancaire ou via Apple Pay. Ce nouveau partenariat avec Tencent va combler le retard pris par Starbucks en la matière. Selon une étude récente de PwC, environ 30% des Chinois sondés en 2015 par le cabinet d'audit américain préfèrent dorénavant régler leurs achats grâce à leurs smartphones, via le paiement mobile, un chiffre qui a doublé par rapport à 2014.
Occidentalisation
Mais la nouvelle stratégie de Starbucks est aussi une réponse à la concurrence montante des enseignes sud-coréennes, comme Maan Coffee ou Caffe Bene, qui se développent elles aussi en Chine. Venues de Séoul, celles-ci ont misé sur la décoration intérieure pour distinguer leurs boutiques de celles de Starbucks, très standardisées : volumes impressionnants, lustres colorés, bois brut, chaises et fauteuils dépareillés… Autre changement par rapport à 1999 : dorénavant, la première chaîne de cafés au monde doit aussi croiser le fer avec les petits lieux indépendants, qui se multiplient dans les ruelles traditionnelles du vieux Pékin, ou sous les platanes, dans l’ex-Concession française de Shanghai.
En Chine, l’essor de la classe moyenne et l’occidentalisation des modes de vie ont entraîné une forte augmentation de la consommation de café, une tendance qui profite surtout au robusta vietnamien, utilisé notamment dans le café soluble de Nescafé, leader en Chine. Selon un rapport publié en 2015 par l’Organisation Internationale du Café (ICO), la consommation chinoise a augmenté de 16% chaque année au cours de la décennie passée. Rapportée à la taille de la population chinoise, la première au monde avec 1,4 milliard d’habitants, la progression reste cependant encore marginale : selon l’ICO, en effet, les Chinois continentaux boivent en moyenne «cinq à six tasses de café par an», contre 150 pour les Hongkongais et 300 pour les Sud-Coréens.