La promesse faite par le candidat Hollande en gage à ses alliés verts de fermer Fessenheim sous son mandat collait depuis cinq ans au doigt présidentiel comme un vieux sparadrap nucléaire. Et, malgré la loi sur la transition énergétique fixant pour «objectif» de baisser la part du nucléaire dans l'électricité à 50% d'ici à 2025, il était acquis depuis longtemps que la centrale du Haut-Rhin n'arrêterait pas ses deux réacteurs de 900 MW avant son départ de l'Elysée. Mais François Hollande a tout de même dû pousser un «ouf» de soulagement en apprenant, ce mardi 24 janvier, que la direction d'EDF lui avait évité de justesse un nouveau camouflet politique.
Le conseil d'administration de l'électricien était très divisé, mais a finalement accepté d'une voix les quelque 450 millions d'euros d'indemnisation proposés par l'Etat. Les six représentants des salariés ont voté contre, dans la lignée de l'avis négatif rendu par le comité central d'entreprise le 10 janvier, tandis que les six administrateurs indépendants se sont prononcés en faveur du protocole négocié de haute lutte avec le gouvernement. Les six représentants de l'Etat actionnaire ne pouvaient pas prendre part au vote sans être accusés de conflit d'intérêts. La voix prépondérante du PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, en cas d'égalité du vote, a donc fait la différence. Tandis que celle de l'ancienne patronne du Medef, Laurence Parisot, qui s'était opposée au projet pharaonique d'Hinkley Point, n'a pas manqué cette fois. La voie est donc ouverte à un arrêt de Fessenheim en 2018, malgré l'opposition unanime des syndicats de l'électricien.
Pourquoi le feu vert d’EDF n’était pas évident ?
Avec un Etat actionnaire à 85,6% dans son capital, on aurait pu s'attendre à ce que EDF s'exécute le doigt sur la couture du pantalon. Mais pour l'exploitant, accepter la fermeture «anticipée» d'une de ses 19 centrales nucléaires n'a rien d'évident, à tel point que la direction d'EDF parle toujours d'un «préjudice». Ouverte en 1978, Fessenheim aurait en effet pu prétendre à une prolongation de son exploitation de quarante à soixante ans, à condition que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) délivre son feu vert. Et puis il y a le manque à gagner que représente pour l'exploitant l'arrêt de la production électrique d'une centrale de 1 800 MW, la disparition d'un «actif» financier estimé à 4 milliards par un rapport parlementaire, sans parler des coûts de démantèlement à prévoir… Une étude commandée par le comité d'entreprise d'EDF au cabinet Secafi a chiffré la perte de recettes pour le groupe d'ici à 2040 dans une large fourchette comprise entre 1,6 milliard et 6 milliards d'euros (en fonction de l'évolution des prix de gros de l'électricité). Le Parlement l'a évaluée, lui, à 4,7 milliards…
Qu’a obtenu l’électricien en échange ?
La ministre de l'Ecologie et de l'Energie, Ségolène Royal, ne proposait initialement que 80 à 100 millions d'euros d'indemnités. Une somme jugée «ridicule» par l'électricien. L'accord conclu cet été entre EDF et l'Etat au sujet de Fessenheim prévoit une indemnisation de 446 millions d'euros minimum. Finalement, le groupe évoque dans un communiqué la somme de «490 millions», dont un premier versement d'environ 100 millions d'euros après l'arrêt de la centrale en 2019 et les 80% restants en 2021. Mais aussi «une part additionnelle variable reflétant le manque à gagner pour EDF jusqu'en 2041» (date correspondant à la prolongation d'autorisation d'exploitation que la centrale Fessenheim aurait pu obtenir). De son côté, l'Etat a accepté de lever deux menaces réglementaires qu'il brandissait contre EDF en cas de refus de fermer Fessenheim : il devrait donner à l'électricien l'autorisation de poursuivre le chantier du réacteur EPR de Flamanville 3 (Manche) et son feu vert au redémarrage du réacteur numéro 2 de la centrale de Paluel (Seine-Maritime), arrêté suite de la chute d'un générateur de vapeur de 450 tonnes. EDF sera ainsi en mesure de démarrer son EPR de 1 600 MWe fin 2018 pour compenser l'arrêt des deux réacteurs de Fessenheim.
La plus vieille centrale française était-elle «dangereuse» ?
Pas plus que le reste du parc nucléaire français. Raccordés au réseau fin 1977, les deux réacteurs nucléaires de Fessenheim sont certes les plus anciens en activité en France. Mais leur technologie à eau pressurisée est celle utilisée dans toutes les centrales d'EDF, en attendant l'EPR. La centrale fêtera en décembre ses quarante ans d'activité, sa durée d'exploitation initiale. Mais EDF, qui a investi 280 millions d'euros pour moderniser Fessenheim, estime qu'elle aurait pu fonctionner encore vingt ans. Sortir du nucléaire a souvent dénoncé sa vétusté et le danger qu'elle représenterait pour le million de personnes habitant dans un rayon de 30 km entre Colmar et Mulhouse et les riverains allemands. Et Greenpeace a désigné Fessenheim parmi les cinq centrales françaises «à fermer en priorité» en raison de son exposition à un «risque d'inondation élevé», notamment en cas de débordement du grand canal d'Alsace longeant le Rhin. Mais l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a estimé en 2015 «que les performances en matière de sûreté nucléaire du site de Fessenheim se distinguent de manière positive» et que «l' exploitation au quotidien des réacteurs est globalement satisfaisante». Lors de ses dernières visites décennales, le gendarme a donné son feu vert pour prolonger l'activité jusqu'en 2019 (pour le réacteur numéro 1) et 2022 (pour le réacteur numéro 2).
Quelles conséquences pour l’emploi et la filière nucléaire ?
Le PDG d'EDF estime au final avoir «préservé au mieux les intérêts de l'entreprise et de ses clients». Même son de cloche chez Ségolène Royal, pour qui la fermeture de Fessenheim «est une décision équilibrée» qui va «permettre le maintien de l'emploi et la mutation du site». Les syndicats d'EDF, qui craignent pour l'emploi des 1 000 employés de la centrale (dont 800 chez EDF) et autant de salariés sous-traitants, ne sont pas du tout du même avis. Dans une lettre ouverte aux administrateurs le 21 janvier, les représentants du personnel ont dénoncé par avance cette fermeture comme une décision «incohérente et irresponsable» et fustigé un «gâchis financier, industriel, social et climatique». Depuis quarante ans, Fessenheim fait vivre toute une région entre emplois indirects et taxe professionnelle. Pour rassurer, Ségolène Royal brandit «de nouveaux investissements industriels franco-allemands sur le territoire du Haut-Rhin». Elle a évoqué l'éventuelle installation d'une usine de voitures électriques par l'américain Tesla, un projet d'usine de batteries de troisième génération ou encore la création d'un site pilote de démantèlement de centrales… Mais pour l'heure, rien de concret.
La droite peut-elle revenir sur la fermeture ?
La CGT-Energie promet de continuer à mobiliser pour éviter «un gâchis historique». Mais désormais le seul espoir du syndicat est qu'un autre candidat à la présidentielle tienne ses promesses, même s'il est de droite. Lors d'un débat de la primaire, François Fillon avait affirmé le 17 novembre : «Le nucléaire est une richesse française, il faut donc moderniser le nucléaire, et ne surtout pas fermer les centrales. En conséquence, on ne fermera pas la centrale de Fessenheim.» Position réitérée ce 24 janvier par Fillon dans un communiqué dans lequel il annonce prendre «l'engagement», s'il est élu, «de défendre les intérêts des Français et l'indépendance énergétique de la France»: «Fessenheim ne doit pas fermer», martèle une nouvelle fois le candidat de la droite. En cas de victoire, la nouvelle majorité pourrait annuler le décret autorisant la fermeture de Fessenheim que le gouvernement actuel va promulguer lorsque EDF aura déposé sa demande «d'abrogation de l'autorisation d'exploiter» à l'issue d'un nouveau conseil d'administration. En cas de victoire en mai, il sera toujours temps pour la droite de revenir en arrière, car la procédure d'arrêt nécessite encore de nombreuses étapes administratives sous l'autorité de l'ASN. Bref, le feuilleton Fessenheim n'est sans doute pas terminé.