L'affaire ressemble fort à une patate chaude que toutes les parties cherchent à se refiler. Le 4 décembre 2016, l'Etat annonce une commande de matériel ferroviaire pour un montant de 400 millions d'euros. Elles sont destinées à redonner de l'activité à l'usine belfortaise d'Alstom, spécialisée dans la construction de locomotives. La décision a été prise, en urgence, afin d'éviter une fermeture du site qui emploie 480 salariés.
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En revanche, les modalités de cette commande n'ont pas été, à ce moment là, une priorité. Et pour cause : la SNCF n'a pas vraiment besoin de rames TGV qui vont circuler à moins de 200 km/h, sur des lignes classiques entre Bordeaux et Marseille. L'entreprise publique s'en remet donc à l'Etat pour l'intendance d'un dossier dont elle se serait bien passée. De son côté, Bercy compte justement sur la SNCF pour faire avancer le dossier, une fois sa volonté exprimée. Ambiance et dialogue de sourds…
Or, voilà que la manière dont vont être commandées 15 rames de TGV, pour un montant de 400 millions d'euros, devient depuis le début de l'année un vrai casse-tête. L'Etat ne peut acheter ces trains en direct, au risque de se faire sérieusement remonter les bretelles par Bruxelles. La Commission européenne pourrait considérer qu'il s'agit là d'une aide d'Etat, pratique ô combien illégale.
Qu'à cela ne tienne, la SNCF pourrait alors passer commande elle-même. Dans cette hypothèse, elle devrait alors passer par un appel d'offres en bonne et due forme et examiner, voire retenir, les propositions de concurrents d'Alstom comme Siemens ou encore Bombardier. Plutôt gênant pour une opération déclarée de sauvetage d'un industriel français. Sans compter les risques de retard pour la livraison de rames, dont la mise en service est prévue en 2021.
Double garantie
Aujourd'hui, l'urgence à trouver une solution s'impose. Ce matin, lors d'une réunion tenue à Belfort et programmée de longue date, le représentant du ministère de l'Economie a été longuement questionné par les représentants des salariés sur la manière dont l'Etat compte sortir de ce guêpier juridique. «Il nous a indiqué que la piste à l'étude était un achat direct par la SNCF avec un financement de l'Etat», précise Claude Mandart, délégué cental CGC d'Alstom.
Pour le moment, Christophe Sirugue, le secrétaire d'Etat à l'Industrie, qui a justement hérité de cette patate chaude, a choisi de se faire discret. Il fait travailler les juristes du ministère sur une solution euro-compatible. S'il s'avère qu'au final, la SNCF devra, elle-même, commander ces rames de TGV, elle réclamera sans doute deux garanties. D'abord, le remboursement par l'Etat d'une opération dont elle n'a pas pris l'initiative. Ensuite, l'assurance qu'en cas d'alternance politique, elle ne se retrouve pas écartelée entre une commande passée et une nouvelle majorité non tenue par les engagements financiers du précédent gouvernement.
Rendez-vous est maintenant pris pour le 17 février, lors d'une rencontre programmée entre le secrétaire d'Etat à l'Industrie et les syndicats d'Alstom, sur le suivi des engagements de l'Etat. Les salariés du site en attendent quelques réponses précises sur les modalité des de cette commande.
Couleuvres
Coïncidence ? Depuis quelques semaines, la SNCF a été contrainte d'avaler une série de couleuvres. Outre cette commande forcée, elle doit mettre en œuvre CDG-Express, la liaison directe entre la gare de l'est et l'aéroport Charles-de-Gaulle. Un projet à 1,6 milliard d'euros qui provoque quelques aigreurs d'estomac au siège de l'entreprise publique, où certains auraient préféré un investissement du même montant, consacré à l'amélioration du service sur le réseau nord du RER. «L'utilisateur quotidien suscite visiblement moins de préoccupations que le voyageur aérien, par nature plus occasionnel», grince un cadre.
Début juin, Guillaume Pépy, porteur d'un projet de réforme du temps de travail des personnels roulants, a dû accepter de faire machine arrière. Coincé entre un préavis de grève illimité et le début de l'Euro de football, l'exécutif a préféré limiter les risques.
Enfin la SNCF doit affronter depuis quelques semaines la fronde des présidents de région, devenus de plus en plus exigeants sur la qualité de service des trains express régionaux (TER). Forts des perspective de concurrence sur ces liaisons, Christian Estrosi (PACA) et Laurent Wauquiez (Rhône-Alpes) réclament le versement de pénalités financières de plusieurs millions d'euros pour manquement aux engagements de l'opérateur ferroviaire. «Avaler des couleuvres, c'est quasiment inscirt dans la lettre de mission de la SNCF», philosophe Bernard Aubin, ex-secrétaire général de la CFTC Cheminots.