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Comment ça va le commerce ?

A Paris, une droguerie de quartier dans l'impasse

Comment ça va le commerce ?dossier
Crise économique, concurrence d'Internet, attentats... après quatorze ans à tenter de maintenir sa boutique à bout de bras, Marie Stern a baissé le rideau à la fin de l'année.
Marie Stern, à Paris, en janvier. (Photo Remy Artiges pour Liberation)
publié le 22 février 2017 à 14h20

Libération ausculte les réalités de la vie commerçante à travers des portraits dans toute la France. Aujourd'hui, la propriétaire d'une droguerie parisienne, contrainte de fermer boutique.

La vitrine est aujourd'hui masquée par de grandes plaques d'aggloméré, d'où n'émerge que le programme des travaux à venir. Au-dessus de la façade reste l'enseigne, où s'écrit «Droguerie» en vertical. Situé entre une pizzeria et un pressing, dans une rue à sens unique à deux pas de la Bourse, dans le IIarrondissement de Paris, le magasin a fermé mi-novembre. Nouvelle disparition d'un commerce de proximité au profit d'un restau dans un quartier en pleine mutation. Et fin d'une aventure de près de quinze ans pour Marie Stern.

«Nos premiers clients»

De son enfance aux aléas de sa boutique, c'est une histoire parisienne que raconte Marie Stern, 42 ans aujourd'hui. Elle grandit rue Charlot, dans le IIIarrondissement, ses parents sont salariés dans une droguerie rue de Bretagne, travaillent beaucoup : «Je les voyais le dimanche après-midi.» Après des études en dents de scie, marquées par un «sentiment d'échec scolaire», elle finit par obtenir un BTS action commerciale en alternance. Un premier boulot, six mois comme assistante commerciale, la dissuade du salariat : «Je voulais être autonome, être ma propre patronne.» A 27 ans, elle quitte un CDI. Ses quelques économies en poche, un prêt, elle reprend la droguerie à quatre stations de métro de chez elle, que cédait l'employeur de sa mère, qui l'aide à monter le projet.

«Une droguerie-quincaillerie, c'est pas forcément sexy à la base. Et tenu par une jeune fille c'était atypique…»? sourit-elle. Progressivement, elle fait évoluer la boutique. Moins de quincaillerie, davantage de cadeaux, de déco, d'ustensiles design, qui prennent progressivement la plus grande part du chiffre d'affaires. «Au début ça marchait pas mal, même si je ne me suis jamais versé de salaires mirobolants.» Elle apprend sur le tas, avec l'aide de Nicolas, son mari musicien. Le choix des produits, la fixation des prix… «On était nos premiers clients», raconte-t-il. Avec la naissance de leurs filles, un coin enfants se développe, là encore en cherchant des objets et designs originaux, «pas du Dora et du Hello Kitty».

«Le petit commerce, c'est aussi une manière de vivre dans la ville», disent-ils, pensant la boutique est comme un «lieu de rencontres, intermédiaire entre des produits et des gens». 

«On est devenu des vitrines» 

Le premier coup dur, c'est la crise économique de 2008, une «crise qui ne s'est jamais arrêtée pour nous», constate Marie Stern. Les grandes entreprises désertent ce quartier de bureaux, emmenant leurs cadres qui étaient autant de clients. En parallèle monte la concurrence d'Internet, Amazon et consorts en première ligne : «On est devenu des vitrines, les clients entrent, regardent et vont acheter moins cher en ligne. En plus on passe pour des voleurs alors que ces gens-là paient moins de 10% d'impôts sur les sociétés, là où j'en paie 33.» Dans le quartier, les difficultés frappent tout le monde : «On a vu disparaître deux cordonniers, un boucher, un coiffeur…» Des restos rapides, souvent ouverts uniquement le midi pour les salariés des alentours, les remplacent, avec un turn-over ahurissant, dans ce quartier, l'un des moins peuplés de Paris.

Les attentats de novembre 2015, qui frappent Paris alors qu'elle a déjà rentré et payé en partie le stock pour Noël, achèvent de fragiliser l'édifice, dans ce coin touristique de la capitale. «Tout s'est arrêté, plus de touriste, plus personne. Et là, ma banque, avec qui je n'avais jamais utilisé le découvert autorisé depuis 14 ans a exigé des remboursements immédiats. Mais mon argent était dans mon stock», s'émeut-elle, disant s'être sentie «abandonnée». «Ça peut aller très vite, la pente est très raide.»

L'idée de vendre, qui trottait déjà dans leur tête, devient une certitude. «On n'avait plus le choix, même s'il y a un deuil à faire, c'était un peu notre troisième bébé», soupire Marie Stern. Début juin, la vente est signée à un prix satisfaisant. «Un soulagement. On était au bout du rouleau.»

«Sous les radars des politiques»

La suite c'est quitter Paris, à la fin de l'année scolaire, partir dans le sud, abandonner un quartier où elle se dit confrontée à une forme de «violence monétaire», n'ayant plus les moyens de faire ses courses dans les commerces gentrifiés du Marais où elle a grandi.

Et suivre en attendant une campagne électorale qui les intéresse alors que les politiques «ne s'intéressent pas à nous». L'affaire Fillon et son soupçon d'emploi fictif reste évidemment en travers de la gorge de celle qui travaillait «55 heures par semaine».

Le couple, qui affirme une sensibilité de gauche dans un milieu «plutôt de droite», croit au rôle social du métier qui «remet du lien dans la ville», au vivre ensemble, et aimerait au moins un rééquilibrage de la fiscalité vis-à-vis des grandes surfaces à qui les élus font les yeux doux. Marie penche pour Hamon, même si aucun candidat ne semble se préoccuper concrètement de leurs difficultés. «Les artisans-commerçants sont sous les radars de la gauche comme de la droite, regrette Nicolas. Le jour où la gauche comprendra l'indispensable caractère social des petits commerces, une réconciliation sera peut-être possible.»

Alors pas sûr de continuer dans le secteur, conclut Marie Stern : «Peut-être que j'ouvrirais un autre commerce mais ce n'est pas d'actualité pour l'instant. J'ai encore un goût amer…»