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Jeu vidéo

«Zelda», une série toujours aussi originelle

Fidèle à la philosophie du jeu, le dernier opus, «Breath of the Wild», permet au joueur d’explorer à son propre rythme un système de quêtes rappelant «The Witcher III».
Capture d'écran de la bande-annonce de «Zelda Breath Of The Wild» sur Switch. (Nintendo)
publié le 2 mars 2017 à 18h36

Quand il était enfant, le créateur de jeux vidéo Shigeru Miyamoto s’était un jour retrouvé, au cours d’une randonnée solitaire, terriblement intrigué par une grotte. Il n’avait pas osé y entrer. Mais le lendemain, il était revenu avec une lanterne pour l’explorer quand même. En tant qu’adulte, expliquerait-il des années plus tard, «aller dans cette petite grotte peut sembler bête, trivial. Mais en tant qu’enfant, bien qu’on ne soit pas autorisé à y aller, on ne peut pas résister. Ce n’est pas un moment anecdotique». (1)

Shigeru Miyamoto parlait alors de la philosophie qui avait présidé, en 1986, à la conception d'une de ses œuvres fondatrices : The Legend of Zelda, sur la console NES. C'est un jeu presque rebutant aujourd'hui car il projette le joueur, sans la moindre indication préalable, au milieu d'un monde qui semble tout de suite s'offrir entièrement à lui, avec sa beauté mais aussi ses traquenards, des monstres trop forts, des lieux interdits. Et parce que pour y progresser, il faut tâtonner : emprunter tous les chemins possibles, mourir, revenir et découvrir des «grottes», comme celle dont parlait Shigeru Miyamoto, dont on se demande s'il est bien malin de les visiter, mais qui nous attirent irrémédiablement.

Au fil des années, la série des Zelda n'a rien perdu de son excellence mais s'est inventé une formule, de plus en plus éloignée de cette philosophie originelle, dans laquelle elle restait plutôt confortablement installée. Notamment à partir d'Ocarina of Time, sorti en 1998 sur Nintendo 64, les grands Zelda en 3D ont toujours veillé à accompagner le joueur du début à la fin, jusqu'à parfois l'étouffer, comme ce fut le cas dans le néanmoins merveilleux Skyward Sword, sorti sur Wii en 2011. En 2013, A Link Between Worlds avait posé les prémisses d'un retour à la conception originelle, en permettant au joueur de résoudre les donjons du jeu dans n'importe quel ordre. Jeu charnière, à cheval entre deux consoles, la Wii U et la Switch, Breath of the Wild reprend cette démarche et la pousse à son terme.

Porte. Au début du jeu, comme dans tout Zelda, le héros se réveille. On ne sait pas ce qu'il fait là, dans cette sorte de grotte, et lui non plus apparemment. Il trouve dans deux coffres de quoi se vêtir sommairement et découvre une tablette, projection virtuelle de la Switch elle-même, qui lui permet de débloquer la porte. Laquelle s'ouvre sur une vaste étendue : vallons, montagnes, forêts, tout cela à perte de vue. Nulle trace de vie à l'horizon. Tout de même, la caméra pointe un édifice religieux en ruine, le seul visible dans les environs. On suit instinctivement un chemin qui descend et l'on tombe sur un vieil homme au coin d'un feu. Directement hérité du premier Zelda, comme nombre d'éléments dans cet épisode qui brasse toute la mythologie de la série, il sera notre seul guide dans cette première partie étonnante : on y acquiert en une heure à peine l'essentiel des pouvoirs qui seront utiles pour finir le jeu.

Passé ce prélude à une aventure dont on est loin d'avoir vu le bout en écrivant ces lignes, on découvre l'ampleur de la carte du jeu. On pouvait craindre, vu la façon dont Nintendo a communiqué, que le producteur Eiji Aonuma et ses équipes se soient lancés dans une course à celui qui proposerait le monde le plus étendu, quitte à ce qu'il ne soit qu'une vaste zone complètement vide. Pourtant, à mesure que le monde se déploie et qu'on l'explore, Breath of the Wild impressionne par la solidité de sa conception. On comprend assez vite que cet univers consiste en une vaste imbrication de niveaux, sur une échelle qui va du donjon comportant une pièce (une multitude de sanctuaires dont il faut résoudre les énigmes) à une région complète. Car dans ce Zelda, aucun chemin, aucune montagne, aucun village (et il y en a, avec une foule de personnages et de quêtes secondaires) n'est placé ni conçu au hasard. Chaque zone, avec sa propre histoire, est identifiable, unique, recelant en son sein une multitude de secrets et d'énigmes.

Décor. L'exploit est donc double : d'abord, avoir réussi à faire passer pour naturels ces environnements uniquement conçus pour le plaisir du jeu. Ensuite, avoir réussi à installer, dans ce vaste monde, une histoire que le joueur peut développer presque comme il l'entend, à son rythme.

Ce faisant, Nintendo ne se contente pas d'embrasser la logique du «monde ouvert», devenue le moteur de nombreux jeux dans le sillage de Grand Theft Auto III, sorti en 2001 : il s'agit bien d'interroger ce que l'on fait de ce monde, qui ne saurait être un simple décor, comme dans The Witcher III, jeu polonais auquel ce Zelda est déjà comparé mais dont il n'a gardé que le meilleur - un système de quêtes particulièrement bien fichu. Pour Nintendo, il ne s'agit donc pas de faire «entrer la série Zelda dans la modernité», comme cela a déjà été écrit. Il s'agit plutôt de réaffirmer, avec force, la modernité déjà présente dans l'épisode fondateur d'une série qui continue d'irriguer le jeu vidéo.

(1) Propos recueillis par David Sheff dans son livre Game Over. Comment Nintendo a conquis le monde, paru en 1993.