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LGV Ouest : veni vidi Vinci

La nouvelle ligne TGV de Paris vers Bordeaux utilise des voies appartenant au groupe de construction. Qui attend fermement un retour sur investissement, aux dépens de la SNCF.
Une rame de TGV Océane (à gauche) à Bordeaux le 11 décembre. (Photo Thibaud Moritz. IP3)
publié le 13 mars 2017 à 20h46

Avec les nouveaux TGV L’Océane (Sud-Ouest) et Ouest (Bretagne), la SNCF entend attirer 4 millions de voyageurs supplémentaires d’ici à 2019. En misant sur des temps de trajet encore réduits. Le pari est cependant risqué car le prix des billets va augmenter pour les clients et la SNCF va devoir remplir beaucoup plus de rames que ce qu’elle souhaitait. Car pour la première fois, l’entreprise publique n’est plus seule à bord. Elle doit composer avec le secteur privé, Vinci et Eiffage en tête, qui a construit les voies et lui loue au prix fort. Décryptage.

Des tarifs en hausse ?

Le prix des billets sera effectivement plus élevé. D'abord en raison du gain de temps. Le voyageur va économiser une heure dix sur Paris-Bordeaux, une heure vingt-trois sur Paris-Toulouse et trente-neuf minutes sur Paris-Rennes. Pour atteindre ces nouvelles performances, il a fallu construire de nouvelles voies, déplacer 50 millions de mètres cubes de terre et édifier, sur la seule ligne Sud-Ouest, 415 ouvrages d'art. Coût total de l'opération : 12,4 milliards d'euros pour 484 kilomètres de voies nouvelles. Ces dépenses se répercutent sur le prix du billet. Selon la SNCF, il augmentera en moyenne de 10 euros sur Paris-Bordeaux et de 6 euros sur Paris-Rennes. Les nouveaux tarifs, applicables le 2 juillet, ne seront connus qu'à partir du mercredi 15 mars. En attendant, Libération s'est livré à des simulations sur le site SNCF. com. Réservé huit semaines à l'avance, un Paris-Bordeaux aller-retour est proposé dans une fourchette de 70 à 150 euros en seconde classe en semaine. Le même billet varie de 130 à 250 euros le week-end aux heures de pointe. Une hausse moyenne de 20 euros, sur un ticket anciennement vendu 80 peut donc représenter une augmentation de 25 % !

Un changement est d'ores est déjà acquis : le premier prix, le billet «prem's», passe de 20 à 25 euros, ce qui équivaut à une progression avérée de 20 %. Mais ils seront plus nombreux, car des trains à deux étages remplaceront des trains à un seul niveau. L'offre de places augmentant de 25 % selon la directrice de la SNCF, il est donc normal qu'il y ait plus de billets à petits prix. Un surplus encore plus important pour le lancement, promo oblige. «Il y aura un million de billets prem's mis en vente dès l'ouverture, soit deux fois plus qu'auparavant», souligne ainsi Gwendoline Cazenave, la directrice du TGV-Atlantique.

En revanche, la disparition d’IDTGV (la version low-cost du train à grande vitesse) sur Paris-Bordeaux se traduit par un manque de souplesse pour les voyageurs. Ils ne pourront plus, dans l’immédiat, choisir leur siège au moment de la réservation. Enfin, les billets prem’s censés prendre le relais des petits prix pratiqués par IDTGV ne sont ni modifiables ni remboursables.

En quoi la gestion de ces lignes est-elle nouvelle ?

Jusqu’à présent, le TGV était une histoire de famille. Les rames sont exploitées par une des filiales de la SNCF dénommée «Voyages» et les rails sont la propriété d’une autre appelée «Réseau». A chaque fois qu’un TGV circule, il paie un péage pour l’utilisation des voies. Bref, tout cela ne sort pas du giron de l’Etat. Et, en cas de conflit, les choses se règlent en général de manière feutrée dans le bureau du ministre des Transports.

Le TGV Sud-Ouest et son cousin de Bretagne fonctionnent, eux, avec une tout autre logique. Ils sont certes exploités par la SNCF, mais pour la première fois, ils circulent sur des voies qui appartiennent au secteur privé. Lequel les loue à la SNCF, non pas animé d’une mission de service public, mais d’une ferme volonté de retour sur investissement.

Ainsi la ligne Paris-Bordeaux est détenue par un groupement emmené par le groupe de BTP Vinci, auquel s’est associé la Caisse des dépôts et l’assureur AXA. Le TGV Bretagne a été financé par un autre grand du BTP français : Eiffage.

Cette participation d’opérateurs privés dans le rail français s’est décidée en 2009 après le Grenelle de l’environnement. L’heure est alors au développement des lignes à grande vitesse et les capacités d’investissement de la SNCF sont plombées par les précédents TGV, notamment dans l’est de l’Hexagone.

Le recours viendra donc du secteur privé. D’autant que le gratin du BTP français n’est pas novice en la matière. Vinci, Eiffage et Bouygues exploitent déjà, en concession, des autoroutes, ou des aéroports. Pour le transport ferroviaire, le modèle n’est guère différent Les entreprises construisent, assurent le financement et louent les rails à la SNCF à un tarif qui leur permet de dégager une marge bénéficiaire. C’est justement là que le bât blesse. Les intérêts sont désormais divergents. Les propriétaires des rails veulent appliquer des prix élevés tandis que la SNCF veut payer le moins cher possible ses droits de passage, de manière à proposer des billets à un prix attractif et remplir de manière optimale ses rames.

Quels sont les gagnants et les perdants ?

A l'issue de sa désignation comme concessionnaire de la ligne Paris-Bordeaux, Vinci a su négocier tout en finesse avec l'Etat. Puisque le tarif d'utilisation de sa voie ferrée est le nerf de la guerre, il lui faut donc obtenir les meilleurs prix mais aussi que le maximum de trains passent sur ces voies puisque le péage est encaissé à chaque passage de rames. Vinci a réussi le tour de force de prendre le pas sur la SNCF en obtenant pas moins de 33,5 allers-retours par jour sur Paris-Bordeaux. De quoi assurer à Vinci 119 millions d'euros de chiffre d'affaires d'ici à décembre et 250 millions l'an prochain. Pour chaque kilomètre parcouru par un TGV, Vinci et ses associés facturent en heures creuses environ 24 euros, ce qui fait 7 000 euros de péage par rame. Interrogé par Libération, Vinci a refusé de confirmer ce chiffre.

De son côté, la SNCF est loin d'être à la fête. Elle a plaidé sans succès pour des fréquences beaucoup moins importantes sur cette ligne. Il va en effet lui falloir remplir ces 33 trains quotidiens, des TGV «Duplex» à double étage, sans pour autant brader le prix des billets. D'ores et déjà, l'entreprise publique a prévu de perdre 90 millions d'euros d'ici au mois de décembre dans cette campagne du sud-ouest. Quant à l'avenir, un haut responsable de la SNCF, sous couvert de l'anonymat, ne mâche pas ses mots : «L'offre est surdimensionnée. Cette li gne restera dans le rouge indéfiniment. L'Etat a négocié directement avec les opérateurs privés et nous n'étions pas dans la boucle. Ce contrat c'est ceinture et bretelles pour Vinci.» La tâche s'avère d'autant plus délicate pour la SNCF qu'elle doit aussi composer avec la concurrence du transport aérien. Air France compte un million de clients, chaque année, entre Paris et Bordeaux et aligne chaque jour 20 vols entre les deux villes. Pour l'heure, la compagnie n'a pas l'intention de réduire son programme et se prépare à une guerre des prix sévère pour garder ses clients.

Quel est le rôle de l’Etat ?

Comme bien souvent, la puissance publique souffre de schizophrénie aiguë dans ce genre d’affaire. L’Etat est actionnaire de la SNCF, qui traîne comme un boulet 45 milliards d’euros de dettes. Il est aussi garant de l’aménagement du territoire et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il doit donc privilégier les transports non polluants, ne pas plomber le bilan d’une entreprise publique et ne pas se fâcher avec les trois grands du BTP dont le chiffre d’affaires dépend en partie de la commande publique. Face à ces intérêts divergents, il essaie de concilier l’inconciliable en densifiant le réseau TGV sans trop dégrader le bilan de la SNCF, quitte à faire payer un peu plus le client.

Cerise sur le gâteau : afin d’éviter qu’Alstom ne ferme son site de production de motrices TGV à Belfort, l’Etat a lancé une commande à 480 millions d’euros pour 15 rames «Duplex», qui desserviront finalement Bordeaux et le sud-ouest. La SNCF paiera l’addition, mais a obtenu en échange une réduction de la taxe dont elle s’acquitte au titre de la solidarité territoriale. L’entreprise publique veut bien se faire tordre le bras, mais pas, en plus, payer les pansements.