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Caribe Wave

En Guadeloupe, des hackers à l'abordage du tsunami

Caribe Wave 2017 : les hackers contre le tsunamidossier
Alors que les Nations unies organisent leur exercice annuel d'alerte au tsunami, des geeks antillais et métropolitains exploitent les nouvelles technologies pour gérer les situations de crise.
Modélisation de la vague virtuelle qui frappera les Petites Antilles mardi 21 mars 2017, pour l'exercice Caribe Wave. (Image PTWC)
publié le 20 mars 2017 à 8h26

Imaginons qu'un séisme de magnitude 8,5 secoue les Antilles demain. Imaginons qu'il déclenche un tsunami, qui déboulerait sur les côtes quelques dizaines de minutes plus tard. Que faut-il faire ? Foncer dans sa voiture et s'éloigner de la mer à toute vitesse comme dans les films catastrophe américains ? Très mauvaise idée : «Il y a un risque d'embouteillage, vous allez vous faire tamponner et ça va être le chaos.» Fuir à vélo, pour doubler toutes les voitures ? Non plus : «Une personne en panique peut vous le voler. Vous avez plus de chances de rester en vie si vous partez à pied : vous n'êtes plus une cible.»

Parce qu'il vaut mieux réfléchir à ces questions avant d'y être confronté pour de bon, les geeks de Guadeloupe organisaient ce vendredi soir une conférence de presse au fablab de la zone industrielle de Jarry, en banlieue de Pointe-à-Pitre – un atelier de création collaborative ouvert au public. La bonne conduite à tenir en cas d'alerte au tsunami est de «se diriger à pied vers un point haut» de l'île, rappelle le président et cofondateur du lieu, Cédric Coco-Viloin. Pour s'en souvenir, l'équipe du fablab a réalisé une affiche et une courte vidéo, claires, colorées et drôles ; ça marquera les esprits.

Cédric Coco-Viloin, dit Cortex, derrière l’affichette conçue par le fablab de Jarry. Photo Camille Gévaudan

Scénario hardcore

Mais ces petits supports ne sont qu'un apéritif au travail pédagogique que mènera le fablab pour le tsunami de mardi. Oui, parce que c'est mardi à 10 heures du matin que se produira le séisme de 8,5 et le compte à rebours avant le raz-de-marée, tout le monde le sait bien : Caribe Wave est un exercice annuel organisé par les Nations unies. L'un des scénarios prévus cette année pour les Petites Antilles, particulièrement hardcore, est inspiré du séisme qui a quasiment détruit Pointe-à-Pitre en 1843 et fait des milliers de morts. Tout est prévu à la minute près : à 14 heures en temps universel, le centre d'alerte des tsunamis dans le Pacifique enverra son message depuis Hawaï (se reposer sur le centre d'un océan opposé permet d'éviter qu'il soit touché par ladite catastrophe naturelle…). A 14h14, une vague virtuelle de 14,72 mètres frappe la petite île de la Désirade, à l'est de la Guadeloupe. A 14h39, c'est une surcote de 20,10 mètres qui débarque à Pointe-à-Pitre.

Les zones touchées, colorées selon la hauteur de la vague virtuelle. Carte Unesco

Les gouvernements de pays environnants organiseront tous ce mardi des exercices d'alerte et d'information en temps réel, d'évacuation des populations, de rassemblements chronométrés sur les collines… Et ceux qui maîtrisent les nouvelles technologies, qu'ils adhèrent à l'organisation d'entreprises du numérique GuadeloupeTech, qu'ils militent pour le logiciel libre à l'asso Gwadalug ou veuillent s'impliquer à titre personnel, y ajouteront leurs propres initiatives. Le fablab de Jarry mettra le paquet sur la communication en ligne avec une carte interactive pour montrer la propagation de l'onde de choc et des vagues aux Petites Antilles, inondera les réseaux sociaux d'informations sur les refuges à rejoindre… et mettra à profit le magnifique bus du fablab repeint en bateau pirate pour «jouer le rôle d'un centre de gestion de crise» en altitude à Convenance, explique Cédric Coco-Viloin, que ses camarades en geekerie surnomment Cortex.

Photo Vincent De Château-Thierry, CC BY

Le bus accueillera des lycéens. «Ils vont tweeter et facebooker en chemin pour dire ce qu'ils font. On va filmer leur arrivée, lister qui est blessé, qui s'est perdu, récolter l'identité des personnes présentes et communiquer ces infos au centre de crise à Marie-Galante pour montrer à quoi sert un refuge en temps de crise.»

«Chaîne mondiale»

Aux côtés de Cortex sous le drapeau pirate qui décore le fablab, Gaël Musquet présente la toute nouvelle association dont il est président, Hand – pour Hackers against naturals disasters – et sa quinzaine de geeks venus tout spécialement de métropole pour mettre leurs compétences au service de Caribe Wave : des cartographes, des développeurs, des vidéastes, des collecteurs de fonds, des logisticiens, des pros du tourisme… «Nous les hackers, les geeks, les technophiles, on n'est pas focalisés sur nos passions, on peut être utiles au monde», plaide Jean-Baptiste Roger, qui officiait jusqu'à l'an dernier avec Gaël Musquet à la Fonderie, l'agence numérique publique d'Ile-de-France.

«On veut aussi montrer qu'on peut amalgamer deux équipes même si elles n'habitent pas sous les mêmes latitudes. On parle le même langage, on a les mêmes envies.» Après l'exercice Caribe Wave de cette semaine, Hand formalisera un partenariat avec le fablab de Jarry, qui deviendra «le premier maillon d'une chaîne mondiale de Hand», un réseau de technophiles engagés pour la prévention des risques naturels aux quatre coins de la planète. «Si cette chaîne doit commencer quelque part, on espère et on serait super fiers qu'elle commence ici.»

Au fablab de Jarry. Photo Camille Gévaudan

Montage express d’un réseau de télécommunications en cas de coupure sur les îles de Marie-Galante et la Désirade, surveillance du niveau de l’eau et du trafic maritime et aérien, cartographie des points de refuge, évaluation des dégâts au sol avec un drone… Le programme pour la semaine est aussi surchargé que l’équipe Hand est surmotivée. En immersion dans l’aventure, on racontera ici leurs missions jour après jour, des préparatifs au débrief.

Tout au long de la semaine, notre envoyée spéciale suivra le déroulé de l'expérience en Guadeloupe et le relatera sur Libération.fr.