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Libération
Reportage

Caribe Wave, épisode 7 : où l'on hacke les autoradios pour donner l'alerte au tsunami

Caribe Wave 2017 : les hackers contre le tsunamidossier
Seize hackers, en mission en Guadeloupe, veulent montrer que la diffusion des alertes aux catastrophes naturelles doit passer par tous les moyens technologiques, des smartphones aux voitures.
Le service RDS permet d’afficher l’alerte sur l’autoradio. (Photo Camille Gévaudan)
publié le 27 mars 2017 à 18h12

Cette semaine, Libération est embarqué avec l'équipe de l'association Hand – Hackers against natural disasters – dans l'exercice annuel d'alerte au tsunami dans les Antilles, Caribe Wave.

Lire l'épisode précédent : L'évacuation à la carte

«Un séisme de magnitude 8.3 s'est produit dans les Petites Antilles aujourd'hui à 14 heures UTC.» Heureusement que le tweet était précédé de la mention «[Exercice]» pour ne paniquer personne… Mardi dernier à 10 heures locales, une vingtaine de messages similaires ont ainsi été publiés sur le compte de @Hand_HackersND pour simuler l'information que l'on pourrait diffuser en temps réel sur les réseaux sociaux en cas de tsunami.

«Ça permet de donner un peu de réalisme à l'exercice Caribe Wave», explique Corentin Larose. Cet entrepreneur du numérique, notamment cofondateur de la plateforme de recrutement Qapa et attaché aux valeurs de l'open source, a développé un petit outil pour tweeter l'arrivée de la vague minute par minute. Les heures ont été récupérées dans le cahier de l'Unesco (ici en PDF) qui définit le scénario de l'exercice Caribe Wave, et chaque message est accompagné d'une carte localisant la ville touchée. «Par le côté spectaculaire et dramatique, on pique la curiosité des gens sur cet exercice.»

Corentin Larose prépare la diffusion automatique des tweets au QG des hackers, à Marie-Galante. (Photo Camille Gévaudan)

Le but est de multiplier les canaux de diffusion pour prévenir un maximum d'habitants et de touristes, en s'adressant à eux là où ils se trouvent. La sirène est efficace mais toutes les zones de la Guadeloupe ne sont pas couvertes. La télé et la radio, encore faut-il qu'elles soient allumées. Les smartphones, quant à eux, traînent toujours à portée de main. Ils sont un chaînon indispensable pour relayer l'alerte. C'est pourquoi l'équipe de Hand a également testé cette semaine une diffusion de message en cell broadcast – «diffusion cellulaire» en français.

Une alarme se déclenche, et les smartphones du QG à Marie-Galante affichent une notification : «Alerte séisme et tsunami». Pas besoin d'avoir installé au préalable une quelconque application – le cell broadcast est une norme internationale conçue pour toucher tous les téléphones portables d'une région prédéfinie, dans la zone de couverture d'une ou plusieurs antennes-relais. Le signal est prioritaire sur le trafic des appels, des SMS et des connexions 3G ; aucun risque que le message s'embourbe dans une congestion du réseau, comme cela arrive souvent dans les situations de crise. Vieille de vingt ans, cette technologie est utilisée par de nombreux pays à travers le monde comme la Chine, l'Italie, les Etats-Unis ou Israël… Mais pas en France, où le seul effort en matière de prévention sur smartphone a été le développement de l'application SAIP en cas d'attentat.

Et pour les personnes qui conduisent au moment du séisme ? Eh bien, on peut les prévenir sur l'autoradio ! Le service RDS (Radio Data System) permet déjà d'afficher des messages textuels dans les voitures pour afficher le nom des stations radio, les chansons diffusées, des infos sur le trafic routier… Tant qu'à faire, le chef de mission Gaël Musquet s'est donc amusé à envoyer un message en quelques dizaines de caractères sur les voitures de location de l'équipe Hand. «ALERTE TSUNAMI : Gagnez les hauteurs !» Simple et efficace. Le système est même prévu pour pouvoir diffuser des messages audio en plusieurs langues. A condition que les autorités aient prévu ce protocole d'alerte et enregistré les annonces à l'avance, bien sûr.

J+1 : évaluation des dégâts portuaires

Au lendemain de l'alerte tsunami, c'est enfin l'heure de mettre à l'eau la Muette, le bateau en plastique bricolé sur place, pour qu'il évalue l'évolution du plancher des ports après un tsunami. Les hackers partent en délégation avec leur précieux joujou en croisant les doigts pour qu'il marche aussi bien dans le port de Capesterre que dans le jacuzzi du QG (et pour qu'il soit bien étanche, car il est bourré d'électronique).

«La Muette» part mesurer la profondeur du port à Capesterre. (Photo Camille Gévaudan)

L'émotion est palpable quand la Muette commence à voguer entre les barques, télécommandée. On lui fait faire quelques virages jusqu'à la sortie du port et un trajet retour, avant de retirer sa carte micro SD et de la lire sur l'ordinateur pour voir si l'essai a fonctionné.

Loïc Ortola lit les mesures du bateau à peine sorti de l’eau. (Photo Camille Gévaudan)

Victoire ! Les lignes défilent sur l’écran : coordonnées géographiques, vitesse de déplacement, température de l’eau… et profondeur, qui varie entre 52 centimètres et 2,98 mètres. La «preuve de concept» est couronnée de succès et les hackers se mettent déjà à imaginer des améliorations, par exemple en programmant les déplacements du bateau pour quadriller le port et établir une vraie carte de bathymétrie. On pourra ainsi éviter que des bateaux s'échouent dans un port devenu impraticable après un tsunami, nettoyer le fond et permettre au trafic maritime de reprendre rapidement pour désenclaver Marie-Galante.

Visualisation des mesures de

la Muette 

: en rouge, les zones les plus hautes ; en bleu, les plus profondes.

Lire l'épisode suivant :Les hackers préparent la suite