Axa était exemplaire et pionnier en mai 2015, quand il s'est en partie désinvesti du secteur du charbon, particulièrement nocif pour le climat. Deux ans plus tard, il ne l'est plus, accusent plusieurs ONG dans une note publiée mercredi à l'occasion de l'assemblée générale des actionnaires du géant français de l'assurance et de la gestion d'actifs. «Il est vrai qu'Axa a été le premier de son secteur à s'engager. Mais depuis, le groupe s'est fait devancer. Il s'agit de le rappeler à son rôle de leadership», explique l'auteur de la note, Lucie Pinson, des Amis de la Terre (partenaires de la publication avec Greenpeace Suisse, Re:Common, Sierra Club, The Sunrise Project et Urgewald).
AXA s'est désinvesti des entreprises réalisant plus de 50% de leur chiffre d'affaires dans le charbon. Mais les ONG estiment ce pourcentage beaucoup trop élevé et poussent Axa à aller plus loin, comme l'ont fait entre-temps plusieurs de ses concurrents. «CNP Assurances se montre beaucoup plus ambitieux, avec un taux de 25%», indique ainsi la note, intitulée «Assurer le chaos climatique». Celle-ci pointe aussi que l'un des premiers concurrents d'AXA sur la scène internationale, l'allemand Allianz, a annoncé un désinvestissement des entreprises exposées à plus de 30% dans le charbon, ce qui «explique en partie la différence entre le montant désinvesti par Axa, 500 millions d'euros et celui par Allianz, 4 milliards d'euros». Et ce taux de 30% a aussi été adopté en juin 2015 par le plus gros investisseur public au monde, le Fonds de pension norvégien Norges Bank Investment Management.
Lourdes conséquences pour le climat
Ces questions de seuil n'ont rien d'anodin. Un seuil de désinvestissement de 50% «permet à AXA de continuer d'investir dans des entreprises qui, loin de tourner la page du charbon, prévoient la construction de nouvelles centrales à charbon», déplore la note. Et de citer l'exemple du sud-coréen Kepco, «qui tire 46% de ses revenus du charbon et échappe donc à l'exclusion d'AXA, qui a réinvesti dans l'entreprise à hauteur de 90 millions de dollars [82,8 millions d'euros] en 2016. Les conséquences sont lourdes pour le climat : avec 14 GW de nouvelles capacités charbon, Kepco est la 11e entreprise au monde à être impliquée dans le plus grand nombre de projets de centrales à charbon».
Les ONG souhaitent donc qu'AXA adopte le seuil de désinvestissement de 30%. Et demandent par ailleurs la prise en compte d'autres facteurs. Pour les producteurs d'électricité, par exemple, le critère d'exclusion retenu devrait être le pourcentage d'électricité générée à partir du charbon et non celui du chiffre d'affaires, «car lui seul permet de refléter l'impact climatique réel», estiment-elles. Avec le critère actuel, Axa continue d'investir dans des entreprises comme l'allemand RWE ou le groupe Enea, contrôlé par l'Etat polonais, qui «certes tirent moins de 30% de leurs revenus du charbon mais produisent plus de 60% de leur électricité» à partir de cette énergie, expliquent-elles. Autre critère d'exclusion souhaité : les entreprises qui produisent, consomment ou vendent plus de 20 millions de tonnes de charbon par an, ce qui permettrait de toucher certains des plus gros producteurs mondiaux, comme Glencore ou Anglo American.
«Pionniers»
Enfin, les ONG demandent à Axa «d'appliquer sa politique à l'ensemble des actifs qu'il gère, qu'ils le soient pour son compte propre ou pour compte de tiers». Les voilà entre-temps partiellement satisfaites sur ce point. AXA IM a en effet annoncé mardi qu'elle étendait sa politique de désinvestissement du charbon aux comptes de tiers «qui l'ont accepté, après un long dialogue avec eux». Ce qui représente, selon le groupe, un désinvestissement supplémentaire de 177 millions d'euros en dette et actions. «Nous sommes encore une fois les pionniers en ce domaine. Nous y travaillons depuis six mois, c'est une coïncidence que nous l'annoncions au même moment que les critiques des ONG», assure un porte-parole à Libération. Celui-ci estime d'ailleurs le texte «à charge». La note des ONG «donne l'impression que nous avons profité d'un effet d'annonce il y a deux ans et que depuis, nous nous sommes reposés sur nos lauriers, ce qui est faux. Depuis, nous avons beaucoup travaillé».
Par ailleurs, poursuit-il, les ONG «réduisent notre action en matière de lutte contre le changement climatique à la question des investissements dans le charbon. Mais c'est en réalité bien plus large que cela, il y a beaucoup de leviers». Et de citer, par exemple, l'engagement pris par Axa d'investir trois milliards d'euros dans des obligations et infrastructures vertes d'ici à 2020. Ou le fait que le groupe n'assure plus du tout les entreprises dont il a désinvesti. «C'est un premier pas, mais quid de toutes les autres entreprises exposées à moins de 50% au charbon ? On est encore loin d'un engagement à ne plus assurer tout nouveau projet de charbon, et encore moins d'énergies fossiles», répond Lucie Pinson, des Amis de la Terre.
Risques financiers
Or, rappelle la note des ONG, «les sociétés d'assurance ont tout intérêt à contribuer à la réduction des gaz à effets de serre», puisqu'il s'agit des seules institutions financières exposées aux trois catégories de risques financiers liés au changement climatique : risques physiques liés aux impacts du réchauffement, risques de responsabilité juridique et risques économiques liés à la transition bas carbone. Pour ne parler que du premier de ces trois risques, la multiplication et l'intensité accrue des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les orages et les inondations entraînent des coûts croissants pour les assureurs (passés d'environ 10 milliards de dollars par an en moyenne dans les années 80 à environ 50 milliards de dollars dans les années 2000).
Las, en plus de continuer à largement assurer les entreprises des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), les 15 plus grands assureurs européens détiennent ensemble «au moins 130 milliards de dollars d'actifs investis» dans ces énergies, selon les ONG. AXA arrive en deuxième place, avec 34 milliards de dollars investis dans les énergies fossiles, derrière Allianz (59 milliards) et devant Aviva (14 milliards). «Pour chaque client d'AXA, c'est environ 320 dollars qui sont investis en grande partie avec leur argent – les primes collectées – dans les entreprises des énergies fossiles», illustre la note.
Au-delà d'un désinvestissement du charbon jugé trop timide par les ONG, Axa n'a «pas du tout prévu de désinvestissement sur le pétrole ou le gaz» admettait en 2016 Sylvain Vanston, en charge de la responsabilité d'entreprise pour le groupe, dans une interview à Libération. «Mais côté assurantiel, nous mettons en place un distinguo entre, par exemple, une centrale à gaz à cycle combiné et une centrale à gaz en dessous des normes locales», ajoutait-il. Les critiques des ONG ne risquent-elles pas d'être contre-productives en braquant les assureurs et/ou investisseurs de bonne volonté ? «Je ne pense pas, estime Lucie Pinson. Et sans pression publique, le statu quo gagnera toujours. Or on ne peut pas se permettre d'attendre, étant donné l'urgence climatique.»
Un signe d'espoir : 60% des 500 plus gros investisseurs mondiaux (fonds de pension, assureurs, fonds souverains…) «reconnaissent maintenant les risques financiers du changement climatique et les opportunités de la transition vers un monde bas carbone», selon une étude de l'ONG AODP (Asset Owners Disclosure Project) publiée ce mercredi. Un chiffre en nette hausse (+18%) par rapport à l'an dernier.