C'est LA prise de guerre de ce gouvernement. Emmanuel Macron a réussi là où ses prédécesseurs ont échoué. Il est parvenu à convaincre Nicolas Hulot d'accepter un maroquin, Hulot qui a tant dit «non» aux présidents de droite et de gauche qu'il conseillait. Celui-ci saute donc le pas. A 62 ans. Là où et quand on s'y attendait le moins. Le voilà numéro 3 d'un gouvernement «de droite et de gauche», ministre d'Etat à la Transition écologique et solidaire. «Comme Jean-Louis Borloo ou Ségolène Royal, il hérite d'un portefeuille au périmètre large, qui comprend l'énergie et les transports», souligne Pascal Canfin, patron du WWF France et ex-ministre de Hollande. Et comme le premier, mais pas la seconde, «son statut de ministre d'Etat lui permettra d'intervenir sur tous les sujets (commerce, fiscalité, agriculture, Europe…) et il pourra organiser des réunions interministérielles».
Hulot, qui se disait, il y a moins d'un mois, «en colère» devant le peu de cas fait pendant la campagne à (rien moins que) l'avenir du vivant sur Terre, s'est contenté après sa nomination d'un simple message sur les réseaux sociaux. «Ceux qui me connaissent savent qu'être ministre n'est pas pour moi un objectif en soi. Je pèse toutes les implications de cette décision. Cependant, j'ai l'intention, sans en avoir la certitude, que la donne politique ouvre une nouvelle opportunité d'action que je ne peux ignorer. L'urgence de la situation m'impose de tout tenter…» Le désormais radical Hulot (lire ci-dessus) risque de se retrouver «bien seul pour peser dans un gouvernement pro-charbon, nucléaire, Ceta [l'accord de libre-échange UE-Canada]», comme l'a tweeté Julien Bayou, d'EE-LV. «Un crève-cœur», a avoué Jean-Luc Mélenchon, qui avait eu la faveur du vote de Hulot lors de la présidentielle de 2012…
C'est peu dire que l'attelage de l'exécutif n'a pas un cœur vert dans son réacteur, contrairement à celui qui, aux côtés de Pierre Rabhi, en 2008, prophétisait déjà que «notre vernis civilisationnel ne résistera pas longtemps à la combinaison de la crise écologique et de la pauvreté». Macron n'a pas fait de la transition écologique un marqueur, et Hulot ne s'est pas privé de le déplorer lors de la campagne. Et le CV d'Edouard Philippe est tout sauf écolo.
Hiérarchie. Pourquoi Nicolas Hulot s'est-il finalement laissé convaincre ? «Parce qu'il veut saisir une dynamique, un mouvement : il croit au chamboulement et parie sur l'intelligence de Macron», dit un proche. Une chose est sûre : il n'était pas demandeur. «C'est Macron qui est venu le chercher, et tout s'est fait très vite, au dernier moment», indique l'économiste Alain Grandjean. «Le fait qu'il n'ait cette fois-ci pas dû choisir un camp entre la droite et la gauche a facilité son engagement, estime Pascal Canfin. Et puis, s'il avait encore quelque chose à tenter, c'était ça.» Il sait aussi son poids politique, sa puissance médiatique, sa popularité mirifique. «Beaucoup de gens compteront en tout cas sur lui pour compenser» d'éventuels penchants anti-écolos de sa hiérarchie, estime Canfin, pour qui le pari de Hulot «vaut le coup mais n'est pas gagné». Pour Grandjean, qui lui aussi pointe un «risque très élevé de désaccords de fond et d'échecs», le «côté universaliste de Macron face à un Trump déchaîné a aussi été important : Hulot s'est dit que si on ne redynamise pas les enjeux écologiques et climatiques au niveau européen, ça sera une boucherie».
Quelle condition a-t-il posée ? «Aucune», dit un fidèle. Le mot «solidaire» dans l'intitulé de son ministère n'a pourtant rien d'anecdotique. «C'était une demande formelle, selon Grandjean. Il ne veut pas qu'il y ait un ministre écolo dans son coin, qui s'occupe des petites fleurs et du carbone, et de l'autre côté un gouvernement qui fait ce qu'il veut sur le social.» Il le sait : les questions écologiques et sociales sont liées. Il devra surtout presser Macron de s'engager sur la taxe sur les transactions financières européenne, qui permettrait de dégager 22 milliards par an, dont une partie destinée à la lutte climatique dans les pays du Sud.
Trophée. A-t-il par ailleurs obtenu l'abandon de Notre-Dame-des-Landes ? Tout porte à le croire. Et la concrétisation des objectifs de la loi de transition énergétique de 2015, notamment sur la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % d'ici à 2025 ? Peut-être aussi, même si ce serait difficile à tenir sans une volonté politique d'acier. Reste à prouver, à terme, qu'il aura été bien plus qu'un simple trophée permettant de couper l'herbe sous le pied de la gauche écolo aux législatives. Et de «verdir» un exécutif guère écolo-compatible.