«C'est un jour heureux, même s'il pleut sur le Pas-de-Calais», sourit Laurent Mesmacre, délégué du personnel CFE-CGC à Arc International. Le groupe verrier vient une nouvelle fois de sauver sa peau, et d'éviter un redressement judiciaire. A Arques, le siège historique de l'entreprise, premier groupe mondial des arts de la table, les 5 300 salariés ont poussé un ouf de soulagement. Ils ont regardé, un brin amusé, Bruno Le Maire arpenter ce vendredi matin les allées du four H. «Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, on a un ministre qui nous amène de l'argent», blague Frédéric Specque, délégué CGT. Le tout nouveau ministre de l'Economie s'est invité de façon impromptue, pour souligner la bonne nouvelle : les investisseurs ont accepté de débourser 35 millions d'euros pour soulager la trésorerie de l'entreprise et poursuivre la modernisation de l'outil industriel. Cerise sur le gâteau, l'Etat a reporté 9 millions d'euros de dette fiscale. «Le Maire nous a dit qu'il n'était pas venu pour se donner à lui-même des lauriers, taquine Laurent Mesmacre, mais qu'il venait saluer des salariés qui se battent pour redresser leur entreprise.»
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Des salariés qui en ont vu d’autres : l’entreprise a connu bien pire, a frôlé la fermeture définitive en 2014, et été reprise in extremis par un fonds d’investissement américain, Peaked Hill Partners (PHP). A la manœuvre à l’époque, un autre jeune ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. Il avait mouillé sa chemise, était venu deux fois sur place. C’est dire si aujourd’hui le symbole comptait : il fallait tirer d’affaire une des réussites de l’ère Macron.
Un investisseur russe
L'actionnaire principal, PHP, a remis 10 millions dans l'affaire. «Un signal fort en direction des salariés, des fournisseurs et des clients, souligne le service communication. C'est un engagement personnel pour la poursuite de l'activité.» Les 25 millions restants viennent d'un fonds souverain russe, associé à la Caisse des dépôts et consignations. En 2016, ces financeurs s'étaient engagés sur un investissement de 200 millions d'euros dans l'usine d'Arques, mais rechignaient depuis à tenir les échéances. «On a eu le premier tirage, 50 millions d'euros, en octobre au lieu d'avril, et depuis plus rien», soupirait Elisabeth Jacques, déléguée centrale CFE-CGC , il y a une semaine. De l'argent qui a manqué à l'entreprise, alors qu'elle s'était engagée dans la nécessaire rénovation des fours.
Mais voilà, Arc International ne marge pas assez, d'où les hésitations des Russes pour continuer à investir. «Les résultats de 2016 n'étaient pas à la hauteur des attentes, souligne Frédéric Specque. De mémoire, il était prévu 60 millions d'euros de résultat d'exploitation, on était en fait à 28 millions, loin du compte.» La production a certes progressé de 20%, mais avec une logique de bas prix, pour attirer de nouveau le client. «Il faut revenir à une production de moyenne gamme, assure Elisabeth Jacques. Regardez l'automobile, ils ont su se renouveler : Citroën a sorti une nouvelle DS, une belle pirouette et une bouffée d'oxygène.» Un modèle qu'Arc connaît : il a bâti sa richesse ancienne sur le cristal d'Arques, présent dans tous les buffets français. L'arrivée d'un nouveau directeur général, Tristan Borne, qui a pris ses fonctions le 4 avril, annonce sans doute un virage stratégique.
Robotisation
L'avenir à court terme s'est donc éclairci : l'argent frais va permettre de payer les fournisseurs, et d'avoir l'énergie et les matières premières nécessaires à la production des grosses commandes de l'été. Sans cet apport de trésorerie, avec les rumeurs insistantes de cessation de paiement, l'usine se serait trouvée en grandes difficultés. «On aurait effacé les bons résultats des quatre premiers mois de 2017, meilleurs que les prévisions», estime Frédéric Specque. Désormais, le combat est ailleurs pour les syndicats : poursuivre la robotisation de l'usine. «On a encore des gens à l'expédition qui remplissent à la main des boîtes de verres», témoigne le syndicaliste. Intenable face à des pays concurrents, à la main-d'œuvre à bas coût. Et cette meilleure productivité devrait se faire sans casse sociale : d'ici 2020, mille personnes doivent partir à la retraite à Arc International. L'entreprise vieillissante a besoin de sang neuf, et les syndicats, tous unis, ont maintenu leur droit d'alerte. «Nous voulons pouvoir contrôler l'usage de ces fonds, avertit Laurent Mesmacre, et être acteurs de la stratégie industrielle qui va être mise en place.»