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Libération
Enquête

Les vieux mobiles veulent refaire leur vie

Symboles d’un gâchis à l’échelle planétaire, les smartphones sont les appareils électroniques les moins recyclés, malgré les efforts des pouvoirs publics. Des initiatives émergent.
(Illustration Sarah Bouillaud. Hans Lucas)
publié le 30 mai 2017 à 17h06
(mis à jour le 31 mai 2017 à 10h09)

Si, d'aventure, vous avez chez vous un vieux smartphone qui prend la poussière, c'est que vous faites partie des 86 % de Français incapables de se débarrasser de leur précieux téléphone mobile… D'après une étude Opinion Way d'avril, seuls 14 % des possesseurs de portable l'ont apporté à un point de collecte pour qu'il soit recyclé. Conséquence : selon un rapport du Sénat publié fin 2016, 100 millions de téléphones dorment dans les tiroirs des Français. Pourtant, 67 % des personnes interrogées par Opinion Way ont conscience qu'il s'agit d'un produit polluant et 76 % qu'il a fallu consommer beaucoup de ressources naturelles pour le fabriquer. Comment alors expliquer cet écart ? Guillaume Duparay est directeur de la collecte chez Eco-systèmes, l'organisme à but non lucratif agréé par les pouvoirs publics pour la collecte et le recyclage des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE). Pour ce spécialiste, «il existe un attachement très profond à son portable, c'est un peu un "doudou". Les gens le gardent pour des raisons diverses : comme appareil de secours, à cause de sa valeur sentimentale, ou parce qu'il a coûté cher à l'achat».

Collecte de proximité

Chaque année, entre 22 et 24 millions de portables sont achetés en France. Pour améliorer le taux de retour des téléphones sans valeur marchande, Eco-systèmes a installé 3 500 bornes sur le territoire et organise des séances de collecte de proximité chaque samedi matin dans les grandes villes. Grâce à ces efforts, la France fait figure de bon élève : «Notre filière de recyclage des DEEE est sur le podium européen et nous avons la plus belle industrie d'Europe pour les téléphones portables», se félicite Guillaume Duparay. Pourtant, ce taux reste inférieur à 5 % de la mise en marché, soit environ 1 million d'appareils, qui seront envoyés aux Ateliers du bocage, une communauté d'Emmaüs qui les réhabilite et les remet en vente.

Où disparaissent tous les autres mobiles défectueux ? Ils sont récupérés par une quinzaine de sites web (fonebank.fr, vendremonmobile.com, largusdumobile.com, cozytec.fr, etc.) qui proposent une reprise rémunérée. Une bonne partie atterrit dans les pays de l'Est «avec des conditions de traçabilité et d'exigence nettement moins élevées que celles du dispositif français», euphémise Guillaume Duparay. «Le marché de l'occasion, qui se développe fortement, se caractérise par un circuit peu transparent», regrettent ainsi les sénateurs dans leur rapport. Marché opaque, le portable d'occasion est revendu sur ces sites de rachat qui négocient le prix le plus bas possible en prétextant un défaut souvent imaginaire.

Plus de transparence, c'est justement ce que veut apporter la start-up Volpy, fondée en octobre 2016 par Marc Simeoni. Basée à Bastia, la PME a imaginé un service destiné aux particuliers pour que la revente soit «rapide, facile et avantageuse économiquement». Une application propose un test qui prend deux minutes, réalise un diagnostic et propose une valeur de rachat. «Notre prix est ferme. Il ne découle pas d'un diagnostic a posteriori et il n'y a aucune négociation», précise Marc Simeoni. Objectif de Volpy : que la consommation responsable du smartphone soit accessible à tout le monde. La société revend environ 20 % des appareils nettoyés de leurs données personnelles sur son site, et les 80 % restants à des «remanufactureurs» qui les réparent, les réaccessoirisent et les remettent sur le marché, sous leur marque propre ou en marque blanche pour des distributeurs comme Fnac Darty. Volpy reverse 2 euros sur chaque transaction à l'association Pur Projet qui s'occupe de reforestation, et veut créer un véritable argus du téléphone mobile d'occasion d'ici quelques mois.

Quarante métaux

Restent les irrécupérables destinés au recyclage. Une opération complexe en raison des nombreux matériaux qui composent ces appareils. «Après l'avoir dépollué - extraction de la batterie et des condensateurs - on entre dans un processus de broyage puis de pyrolyse à haute température. Ensuite, il existe plusieurs procédés physico-chimiques destinés à séparer les métaux, qui sont les seuls éléments récupérables», décrit Françoise Berthoud, ingénieur de recherche au CNRS et directrice du groupement de service EcoInfo. Les smartphones contiennent pas moins d'une quarantaine de métaux : ferreux et non ferreux (fer, cuivre, aluminium), stratégiques (tungstène, titane, tantale) et précieux (or, argent, palladium), ainsi que des extraits de terres rares (néodyme) dans les haut-parleurs. Une tonne de cartes électroniques peut comprendre jusqu'à 1 kg d'or, 5 kg d'argent, 9 kg de tantale et 250 kg de cuivre… «Certaines cartes électroniques peuvent valoir jusqu'à 50 000 euros la tonne», précise Guillaume Duparay. L'usine de recyclage la plus efficace, Umicor en Belgique, ne récupère pourtant que 17 éléments. Les 23 autres deviennent des déchets ultimes qui finiront au mieux dans le bitume des routes, au pire dispersés dans la nature. «On ne sait pas, à l'échelle industrielle, récupérer tous ces métaux», déplore Françoise Berthoud.

Dernier argument plaidant pour la fin de ce système : les problèmes éthiques liés aux conditions d’approvisionnement de certains fabricants et sous-traitants. Les minerais dits de «conflit» ou «de sang» sont extraits dans des territoires confrontés à des guerres. Ainsi 80 % des réserves mondiales connues de coltan (indispensable à la fabrication des condensateurs) sont situées en république démocratique du Congo (RDC), notamment dans la région du Kivu, où les affrontements entre rebelles et forces gouvernementales sont endémiques. Sans parler des conditions de travail proches de l’esclavage qui règnent dans ces mines (accidents mortels, manque d’hygiène, emploi des enfants…).

Robot démonteur

Mais les principaux responsables du gaspillage ne sont ni les utilisateurs ni les sociétés chargées du recyclage. Les fabricants restent les grands coupables avec une absence délibérée d'«éco-conception» qui permettrait de prévenir et réduire les effets négatifs sur l'environnement, tout en conservant sa qualité d'usage. Les Apple, Samsung, Huawei et consorts se préoccupent plus de la course à l'innovation qui pousse les consommateurs à se payer chaque année le dernier modèle que de réemploi des précédents appareils ou de leur recyclage. En mars, Apple a fait circuler une vidéo de son robot démonteur Liam aux 29 bras, capable de désassembler très rapidement un iPhone 6, et au total 1,2 million d'appareils par an. Ce qui est notoirement insuffisant. Il lui faudrait des décennies pour démonter les millions d'iPhone mis au rebut mais toujours en circulation. La firme à la pomme est d'autre part accusée par le journaliste américain Jason Koebler de greenwashing. Sur le site Motherboard , il explique qu'Apple oblige les centres de tri américains à déchiqueter des iPhones, des iPad et des Mac dont les pièces pourraient être réutilisées. «Apple saborde volontairement toutes les initiatives visant à prolonger la durée de vie de ses produits»,accuse Jason Koebler.

Face à ces géants, quelques initiatives émergent. Née en 2013, l'entreprise néerlandaise de téléphones équitables Fairphone est une alternative aux smartphones du marché. «Nous sommes une entreprise sociale qui a pour objectif de faire baisser l'impact environnemental de l'industrie du téléphone portable», explique Bibi Bleekemolen, responsable «public and impact engagement» de Fairphone. Grâce à une opération de crowdfunding, la start-up a mis en lumière une forte demande forte pour des appareils équitables (avec des engagements comme le soutien aux économies locales, la possibilité de réparer les produits, le suivi social des employés des sous-traitants…) Les Fairphone 1 et 2 sont aisément démontables. «Réparer son smartphone double sa durée de vie moyenne», affirme Bleekemolen dont les appareils devraient être bientôt dans les boutiques Orange, grâce à un accord de distribution en cours de finalisation.