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Comment ça va le commerce ?

A Montpellier, un magasin de jouets à l’ancienne résiste à Internet

Comment ça va le commerce ?dossier
Loin des sites en ligne et des franchisés identiquement formatés, l’atypique boutique d’Alain Simon fait toujours rêver plusieurs générations de Montpelliérains.
Alain Simon, patron du magasin de jouets Pomme de reinette à Montpellier, le 19 mai 2017. (Photo David Richard. Transit pour Libération)
par Sarah Finger, à Montpellier
publié le 31 mai 2017 à 10h53

Libération ausculte les réalités de la vie commerçante à travers des portraits dans toute la France. Aujourd'hui, un magasin de jouet à Montpellier. Les autres épisodes sont à découvrir ici.

Cela fait quarante-cinq ans qu'il évolue dans cet univers onirique, entre les ours en peluche et les poupées russes, les boîtes à musique et les jouets mécaniques, les marionnettes de ventriloquie et les coffrets de magie. Durant ce presque demi-siècle, il a vu défiler le tout-Montpellier en quête d'un jouet pour le petit dernier. Et pourtant : Alain Simon, 65 ans, petites lunettes rondes et élégant gilet mauve, n'a rien d'un patron blasé. Il raconte : «Nous avons créé ce magasin en 1972 avec mon épouse Françoise, et c'est devenu notre vie.»

Originaire des Vosges, passionné par le dessin et l'archéologie, il est parti à 17 ans en sac à dos pour voir le monde. «J'étais un nomade, un baba cool, je me suis baladé un peu partout avant de m'installer à Montpellier dans l'idée de faire des études. C'est là que j'ai rencontré ma femme.» Devenu père, le baladin s'invente alors une vie sédentaire qui puisse s'allier à sa philosophie. «Plus qu'un magasin de jouets, j'ai voulu créer un univers en trois dimensions dédié à l'enfance, au rêve, à la fiction. L'idée, c'était que les gens soient heureux dans un cadre riche en possibilités. J'ai réussi : grands ou petits, ils sont nombreux à venir ici pour rêvasser ou se nettoyer la tête.»

Une chenille

Son premier terrain de jeux, installé en plein centre-ville, il le baptise Pomme d'Api : le site est modeste mais le concept original puisque la boutique est agencée comme l'intérieur d'une pomme géante. Quelques années plus tard, les locaux adjacents à cette boutique se libèrent. Alain Simon s'en empare pour créer Pomme de Reinette. Peu à peu, et durant trente ans, au gré des nouveaux mètres carrés qui s'offrent à lui, le magasin s'étend, grignote de l'espace, un peu comme un petit ver qui creuserait sa galerie. Aujourd'hui, Pomme de Reinette s'organise telle une chenille : six petites pièces se succèdent, toutes différentes, toutes biscornues, chacune proposant son propre univers. «J'ai créé une sorte de parcours intemporel dans un espace onirique», se félicite Alain Simon.

Le visiteur traverse la salle des figurines avant d’arriver dans celle des cartes, passe par une porte en forme de tour pour déboucher sur un échiquier géant. Il devient alors Alice avant d’arriver dans l’espace de prestidigitation où officie un magicien, puis pénètre dans la dernière pièce qui a été déguisée en vaisseau spatial… Au premier étage, un minuscule musée réunit des souvenirs d’enfance du patron et des jouets qui lui ont été offerts par des amateurs qui savaient qu’ici, leurs trésors seraient bien gardés, - comme cette collection de Dinky Toys soigneusement rangée derrière la vitrine.

Cinq salariés

Alain Simon ignore combien de mètres carrés il occupe ici. Fidèle à son passé de saltimbanque, il n'est que locataire. Il ignore aussi combien de références s'entassent dans ce vaste bric-à-brac. «Sans doute plusieurs dizaines de milliers», estime-t-il, reconnaissant bien vite : «Le côté chiffré des choses m'échappe un peu… En revanche, je sais jouer à tous les jeux mis en rayon.»

Il n'empêche : le magasin tourne, à un rythme de croisière qui lui permet, dit-il, de faire face à d'éventuelles périodes de vaches maigres, et emploie aujourd'hui cinq salariés. Si la concurrence des sites en ligne a eu raison de la plupart des autres magasins de jouets indépendants de la ville, celui d'Alain Simon semble indétrônable : «Avec Internet, on ne parle pas la même langue, on n'évolue pas sur le même terrain. D'ailleurs, voyez, on ne vend même pas de jeux sur écran… Ici les jouets ont une histoire. Les gens viennent acheter un cadeau chez nous parce qu'il est imprégné d'une identité. L'endroit d'où les choses viennent a aussi son importance.» Il estime ne pas être vraiment concurrent des chaînes de magasin de jouets, davantage centrées sur les phénomènes du moment.

«Taverne d’Ali-Baba»

Certes, il faut bien sacrifier aux modes : il n'y a qu'à voir la pile de hand spinners placée près de la caisse pour comprendre qu'un magasin de jouets à l'ancienne doit aussi savoir conjuguer au présent. Mais Alain Simon se paie le luxe de refuser ce qui gravite trop loin de son univers : «Je ne prends pas les produits qui ne me plaisent pas, qui ne me parlent pas. Certains jouets sont trop agressifs, trop sombres. De toute manière, ils ont généralement une durée de vie très courte.»

Alain Simon préfère s'amuser en écoutant les commentaires de ses clients, des «brèves de comptoir» qu'il a récemment décidé de consigner dans un cahier. Celui-ci referme quelques perles, comme cet enfant qui s'écrie : «Ici, c'est la taverne d'Ali Baba !» D'autres anecdotes se révèlent plus révélatrices de l'époque, comme celle d'une petite fille entrée dans la boutique en serrant sa poupée. La caissière lui dit : «Elle est trop mignonne ta poupée, comment elle s'appelle ?» Et la petite fille de répondre : «China ! C'est marqué sur l'étiquette.»