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Nucléaire

La scoumoune plane sur les EPR

Les réacteur nucléaires de nouvelle génération d'EDF et d'Areva cumulent retards et surcoûts.
L'EPR de Flamanville (Manche), le 16 novembre 2016. (Photo Charly Triballeau. AFP)
par Franck Bouaziz, Jeanne Laudren et Anthony Cortes
publié le 4 juillet 2017 à 20h32

L'addition continue de grimper pour le projet phare d'EDF en Grande-Bretagne. La construction des deux réacteurs nucléaires de type EPR prévus sur le site d'Hinkley Point dans le sud de l'Angleterre vient de se s'alourdir d'1,7 milliard d'euros. Le coût prévisionnel du projet passe donc à 22,3 milliards d'euros et la livraison sera retardée de quinze mois, pour la première tranche du chantier, et de neuf mois pour la seconde. Ces changements résultent, selon EDF, «d'une meilleure appréhension du design adapté aux demandes des régulateurs». En clair, il s'agit de modifications techniques exigées par l'autorité de contrôle britannique.

Ce surcoût entraînera, dit l'électricien, une légère baisse du bénéfice annuel sur ce projet, qui devrait passer de 2 milliards à 1,8 milliard d'euros. Ce qui n'entamerait pas l'apparente bonne santé économique de l'entreprise, dont le taux d'endettement rapporté à son chiffre d'affaires est inférieur à 50%. «C'est plutôt bon comparé aux autres entreprises et cela laisse de la marge pour financer des investissements», souligne Nicolas Goldberg, consultant pour le secteur énergie chez Colombus Consulting. Il estime, en outre, que les gains futurs ne sont pas l'unique raison ayant poussé EDF à participer à la construction des EPR : «Il s'agit aussi de pérenniser la filière nucléaire et de préserver l'emploi», précise-t-il.

Reste qu'une interrogation de taille plane sur cette opération. Le contrat signé entre le gouvernement britannique et les sociétés exploitant la centrale (EDF et China General Nuclear Power Corporation) garantit que ces dernières seront payées 105 euros par mégawattheure produit. Un tarif généreux qui conduira à une augmentation des taxes et aura donc des répercussions sur les factures des consommateurs anglais. Or, c'est précisément sur ce point que l'affaire pourrait se compliquer pour EDF. «Il n'est pas impossible que le gouvernement britannique prenne pour prétexte que la Banque d'Angleterre ne garantit plus le financement de l'opération pour demander une renégociation à la baisse du prix du mégawatt», estime un ancien d'EDF qui a approché le dossier de près.

Vicissitudes

Au sein du groupe énergétique français, la CGT voit dans ces modifications de coût et de timing une preuve de l'emballement qui caractérise cette opération. «A l'origine, la décision a été prise sans aucune concertation, sans écouter les organisations syndicales qui voulaient reporter le projet, estime Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération nationale des mines et de l'énergie (FNME-CGT). Ce que nous demandions, c'était d'attendre la mise en fonctionnement de l'EPR de Flamanville pour faire un retour d'expérience, et ainsi ajuster la mire en termes financiers et techniques.» Un empressement également souligné par Nicolas Goldberg de Colombus Consulting : «L'idéal aurait été qu'EDF construise un EPR en France et attende qu'il soit terminé avant d'en construire un autre ailleurs.»

Malheureusement, deux autres projets français de réacteurs du même type ont connu quelques vicissitudes. L’EPR de Flamanville, censé être une vitrine de la technologie française en la matière, aurait dû coûter 3,3 milliards d’euros et être livré en 2012. Il ne sera opérationnel qu’en 2019 et la facture atteindra 10,5 milliards. La semaine dernière l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a validé l’aptitude au service de la cuve du réacteur, mais elle a toutefois demandé le remplacement du couvercle d’ici à 2024 ce qui rajoutera 100 millions d’euros supplémentaires à la facture.

«Contraintes de sécurité immenses»

En Finlande enfin, l’opérateur nucléaire Areva n’a toujours pas livré son EPR sur lequel la perte sera de 5,9 milliards d’euros. Sans compter les contentieux qui minent ce dossier. Areva réclame en effet 3,5 milliards à son client TVO pour les modifications techniques demandées. Mais celui-ci exige 2,3 milliards à son fournisseur français pour les retards. La décision, confiée à un tribunal arbitral, interviendra à la fin de l’année. Le dossier est tellement miné qu’EDF, au moment de reprendre une partie des activités d’Areva, a expressément fait savoir qu’il ne voulait surtout pas récupérer l’EPR finlandais. L’Etat n’a donc eu d’autre solution que de recapitaliser Areva à hauteur de 2 milliards.

Difficile, compte tenu de ce tableau, de rendre la nouvelle génération de réacteurs français très séduisante. Pierre-Antoine Chazal, analyste financier chez Bryan Garnier, résume la perplexité d'une partie du microcosme financier: «L'efficacité de cette technologie n'a jamais été démontrée, aucun réacteur n'est en service, les contraintes de sécurité sont immenses… Si d'autres surcoûts ou retards interviennent, ces projets sans garanties auront du mal à attirer d'éventuels investisseurs.»