Bercy sort l’artillerie lourde. Ce mardi, pour la première fois en huit mois, l’ensemble des acteurs du dossier de GM&S sera réuni. Une quarantaine de personnes, dont le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, pour tenter, à neuf jours de l’audience prévue à Poitiers, de dénouer l’inextricable conflit de l’usine de La Souterraine (Creuse). Opposant salariés, constructeurs automobiles et potentiel repreneur, l’histoire de GM&S résume à elle seule un moment de la mondialisation. Au-delà du drame socio-économique qui se joue pour la Creuse, c’est aussi la question de la mort programmée d’une certaine vision industrielle de la France, du discours politique et du traitement qu’entend y appliquer le Président qui est posée.
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Qui connaissait GM&S ? Quand Libération les rencontre en avril, les ouvriers creusois désespèrent d'attirer l'attention du grand public. Depuis, ils ont gagné leurs galons d'experts en communication. Mais l'essentiel de ce qui a consolidé leur lutte est devenu inaudible, dilué dans le fatras des directs d'où, à quelques encablures du dénouement, il est pourtant crucial de s'extirper.
Loin du fatalisme social, les 277 de GM&S auront mené depuis près de quatre mois un véritable blitzkrieg social. Depuis le blocage de divers sites PSA jusqu'à la destruction de leurs outils. Ils vont jusqu'à piéger l'usine ou allumer des feux dans les ateliers. La bonne stratégie ? «Ce sont eux qui nous ont créés, Peugeot et Renault, avec leurs méthodes, tonne Jean-Marc Ducourtioux, délégué CGT. Trente ans de restructuration écrits sous leur dictée, ça finit par radicaliser.» GM&S est de fait l'histoire d'une descente aux enfers, ce que Me Jean-Louis Borie, l'avocat des salariés résume en parlant d'«un cas d'école sur les méthodes de la filière».
Siphonnage
Née fabrique de trottinettes en 1963, c’est dans les années 80, en plein âge d’or du tout voiture, que l’usine s’engage dans la sous-traitance. S’en suivront vingt belles années avant de passer aux mains du fonds de pension Wagon. Le marché est moins florissant, les industriels désertent et laissent place aux financiers. En 2006, le groupe Sonas s’installe aux commandes. La trésorerie est déjà bien amochée et la crise de 2008 l’achève. Un an plus tard, l’entreprise est placée en redressement judiciaire, le premier d’une longue série.
En 2009, un nouveau propriétaire, Altia, entre en scène. Le trio d’actionnaires qui le dirige rachète La Souterraine et 23 sites français sans casse sociale. L’opération est menée avec le soutien de la Banque publique d’investissement, qui en devient même actionnaire à 18 %. Il faudra cinq ans aux pouvoirs publics pour découvrir, lors d’un second redressement judiciaire en 2014, que les gérants d’Altia, toujours propriétaires des murs, ont littéralement siphonné les caisses de l’usine creusoise. Aujourd’hui, ils perçoivent 260 000 euros de loyer annuel. Trois ans plus tard, les gérants attendent toujours que la justice se prononce sur leur éventuel abus de bien social, quand les ouvriers ont déjà été rachetés par GM&S et placés en redressement, pour la troisième fois en huit ans.
Au fil de ces déboires, une constante demeure : les constructeurs automobiles, principaux donneurs d'ordre, sont omniprésents. Au fil des mandataires et des tribunaux successifs, ils conseillent sur les potentiels repreneurs auxquels ils seraient enclins à passer des commandes. Aujourd'hui encore, l'équipementier GMD, qui s'apprête à racheter l'usine, est parmi les principaux interlocuteurs des fabricants automobiles français. «On trouvera un accord, mais on ne sera jamais d'accord», clamait Patrick Brun, élu CGT de La Souterraine tandis que les salariés bloquaient le site PSA Sept-Fons en fin de semaine.
Pour Me Jean-Louis Borie, avocat des salariés, le problème dépasse le cas précis de l'entreprise creusoise.«Les petites usines intégrées comme GM&S, les constructeurs n'en veulent plus, dit-il. Ils veulent des fournisseurs adossés à des groupes comme GMD, disposant de la surface financière pour se plier à leur modèle économique et capable d'installer un atelier au pied de leurs lignes de productions, notamment étrangères.»
Ces options ont des conséquences concrètes. L'un des négociateurs du dossier creusois, explique ainsi que «pour répondre aux standards de la concurrence mondialisée et de la compétitivité, les industriels ont été amenés à repenser leur modèle en réorientant la sous-traitance, entre autres à l'étranger». Pour lui, l'affaire GM&S pourrait n'être que le «premier domino d'une longue série». Car «ce qui se passe aujourd'hui, c'est que PSA veut faire en cinq ans ce que Renault a réussi à faire en quinze».
Compte-gouttes
A Bercy, l'affaire est maintenant suivie comme le lait sur le feu. Bruno Le Maire s'est impliqué personnellement mais l'Etat n'est pas encore parvenu à tordre complètement le bras à PSA et à Renault pour qu'ils assurent un montant suffisant de commandes au sous-traitant. Par ces pressions, l'Etat espère éviter une situation similaire dans dix-huit mois. Mais de l'autre, «si Bercy se montre très prudent, c'est parce qu'il ne veut pas prendre le risque de créer un précédent, notamment en termes d'indemnisation des licenciés», poursuit le négociateur. Au-delà, ce réflexe du XXe siècle percute «la trajectoire politique d'Emmanuel Macron qui veut faire entrer la France dans le XXIe».
L'entreprise, deuxième employeur du département, qui risquait tout bonnement la fermeture en janvier, sera bel et bien reprise. C'est finalement le scénario pressenti dès avril par Me Borie qui se dessine. GMD reprendra l'usine, s'appuyant sur le volume de commandes consenti au compte-gouttes par les constructeurs, qui reconnaissent ainsi par le geste ce qu'ils refusent d'admettre par les mots : le droit de vie et de mort qu'ils exercent sur les acteurs de la sous-traitance.
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L’Etat se sera débattu, y compris contre sa propre idéologie, pour faire lever une à une des conditions suspensives posées par le repreneur. Ce dernier, usant d’un silence habile, aura pour sa part encouragé les syndicats, CGT en tête, à aller chercher pour lui, avec les muscles, les conditions d’une reprise confortable. L’Etat, enfin, qui promettait une rénovation totale de son logiciel politique, aura comme ceux qui l’ont précédé, mis la main à la poche pour contenir l’incendie. Aux yeux du public, la face sera sauvée, mais en coulisse il n’y aura que des perdants.
A quelques heures de la rencontre à Bercy, toutes les conditions suspensives de GMD ne sont pas levées, les salariés ne démordent pas sur l'indemnisation des licenciés. Quant aux promesses des constructeurs, elles ne sont formalisées dans aucun écrit. L'objectif est de faire signer Renault pour 10 millions d'euros de commande annuelles durant trois ans et PSA pour 12 millions sur la même période. «Nous sommes prêts à nous engager sur cette somme», indique-t-on chez PSA. Idem pour la marque au losange qui, par contre, refuse de passer de 5 à 10 millions d'euros d'aide à l'investissement dans l'outil de production de GM&S. De surcroît, dans cette affaire, les négociations sont polluées par le fait que les deux constructeurs se regardent en chiens de faïence, quand chacun ne dénigre pas, carrément, le manque d'engagement de l'autre.
Photo Thierry Laporte pour «Libération»