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Etats-Unis : vers un Internet à deux vitesses ?

Ce mercredi, de nombreuses entreprises du numérique et des associations de défense des libertés organisent une manifestation virtuelle pour s'opposer à la remise en cause de la neutralité du web par l'organe gouvernemental de la FCC.
Manifestation devant les locaux de la FCC à Washington, mai 2014. (Photo Alex Wong. AFP)
publié le 12 juillet 2017 à 16h13

Twitter, Pinterest, Amazon, Netflix ou encore Soundcloud, unis dans une «bataille pour le net». Ce mercredi, aux Etats-Unis, plus de deux cents entreprises et organisations de la société civile participent à une manifestation virtuelle pour s'opposer à une réforme proposée par la Commission fédérale des communications (FCC). Cet organe gouvernemental indépendant, chargé de réguler les télécommunications nationales et internationales sur le sol américain, planche sur de nouvelles règles concernant le trafic internet. Concrètement, les fournisseurs d'accès (FAI) pourront proposer deux transmissions, l'une à haut débit et l'autre à bas débit, en fonction de ce que paieront les services en ligne. At&t, Comcast, Verizon ou Time Warner Cable, qui dominent le marché des fournisseurs d'accès, affirment qu'il est impératif qu'ils trouvent des profits afin de continuer à investir pour l'amélioration de la bande passante.

Réseau fermé 

Pour Julia Reda, députée européenne issue du Parti pirate allemand, cet argument est fallacieux. «Le passé a montré que même lorsque leurs bénéfices augmentent, ces entreprises n'investissent pas plus.» Une thèse confirmée par une étude récente du groupe de défense du consommateur Free Press, qui va même jusqu'à contredire les propos des géants des télécoms. D'après cette analyse, publiée en mai, l'investissement global des fournisseurs d'accès a augmenté de 5 % en deux ans, suite au vote par la FCC de règles garantissant la neutralité du net. Une notion à laquelle l'office gouvernemental pourrait mettre fin. Ce concept pose que tous les utilisateurs doivent être traités de façon équitable «que vous soyez un enfant qui fait des recherches, ou un professeur d'université», explicite le sénateur démocrate Bernie Sanders, également opposé au projet. «Internet sans neutralité n'est pas vraiment internet, défend l'association Free Press. Contrairement à l'internet ouvert qui a offert une plateforme à ceux qui étaient historiquement mis au ban, il deviendrait un réseau fermé dans lequel les compagnies de câblodistribution feraient la loi et décideraient quels sites, contenus ou applications réussiraient.»

Les participants à la manifestation afficheront sur leurs sites des bandeaux et vidéos explicitant les effets de l’adoption de la loi et incitant les internautes à contacter la FCC. En effet, en mai 2017, l’organe a voté une première fois pour rouvrir le débat sur la notion de neutralité de l’internet. Une période de consultation citoyenne s’ensuit automatiquement. Du 17 juillet au 16 août, la commission et le Congrès recevront tous les commentaires qui devraient théoriquement être pris en compte dans un vote final à la fin de l’année.

Capture d’écran du site battleforthenet.com. Quelques-unes des bannières proposées aux participants.

Pour ses détracteurs, la réforme renforcerait l'hégémonie des grosses entreprises. «Elles pourraient faire à peu près ce qu'elles veulent : bloquer le trafic, facturer plus ou favoriser certains contenus», alerte Vimeo dans une vidéo. Mais elle annihilerait également toute compétition entre les entreprises. «La concurrence permet aux start-up de supplanter des marques installées. C'est ainsi que Facebook a supplanté Myspace, qui a supplanté Friendster», illustre John Oliver, star du Last Week Tonight, émission diffusée sur HBO.

Et l'animateur vedette de se demander comment un tel projet peut être envisagé alors que tous les acteurs de la toile, fournisseurs de service comme usagers, le rejettent en bloc. La réponse se cache peut-être derrière les relations problématiques entre les fournisseurs d'accès à internet et les instances gouvernementales. La chaîne de télévision Bloomberg a révélé que Comcast dépensait 18 millions de dollars (15,7 millions d'euros) en activités de lobbying. Un internaute a également remarqué que le sénateur républicain Mike Lee comptait sur le deuxième plus gros câblodistributeur, Charter Communications, qui a financé à hauteur de 40 000 dollars (35 000 euros) sa campagne pour les sénatoriales de 2016. Quant à la figure d'Ajit Pai, actuel président de la commission, elle suscite également des polémiques. Nommé par Donald Trump en janvier dernier, ce Républicain (qui a travaillé au Sénat ainsi qu'au ministère de la Justice) a été conseiller auprès de Verizon de 2001 à 2003. Il s'était notamment illustré en 2015, lorsque la FCC avait voté pour la neutralité du net, affirmant que cette loi «impos[ait] une régulation intrusive de la part du gouvernement pour résoudre un problème qui n'existe pas en utilisant une autorité légale que la FCC ne possède pas».