«Là, c'était une maison de la presse, par ici la brasserie du théâtre, là une boutique Orange, une boulangerie…» Nous sommes à Saint-Quentin, dans l'Aisne, ce printemps et Laurent Bedet, buraliste, fait le guide touristique des commerces fermés, depuis le bar-tabac qu'il a repris il y a sept ans sur la rue piétonne la plus passante de la ville. En Seine-et-Marne, dans son hôtel-restaurant de Mormant, Florence Matuska se souvient : «Avant que j'arrive, il y a vingt ans, il y avait une mercerie, une quincaillerie…» Elle avance, fataliste : «Bientôt, il n'y aura plus de petits commerces, c'est le fond de ma pensée.» Au cœur de Paris, Marie Stern raconte cette rue du IIe arrondissement : «On a vu disparaître deux cordonniers, un boucher, un coiffeur…» Elle-même a fermé en novembre la droguerie qu'elle tenait à bout de bras depuis quatorze ans, dans une zone où n'ouvrent que des enseignes de restauration rapide…
Ces trois commerçants qui égrènent la litanie des fermetures font partie des dix-huit dont Libération a dressé le portrait ce premier semestre pour une série intitulée «Comment ça va le commerce ?». Des hommes et des femmes, des jeunes qui se lancent et des anciens qui ont tenu bon, des commerces traditionnels et d'autres qui viennent de s'inventer, des grandes villes et des villages… Et pas mal de points communs : des heures de travail à la pelle, une dent contre les charges, le RSI (régime social des indépendants) et les grandes surfaces, une position ambiguë face à Internet qui menace leur activité tout en offrant des débouchés…
Attelages. Dans ces cœurs urbains en bouleversement, ils tentent de s'adapter. Par leur singularité, comme cette boucherie bio et halal lancée par deux frères jumeaux aux Lilas (Seine-Saint-Denis), ce magasin du centre de Montpellier (Hérault) qui mise sur des «jouets qui ont une histoire» ou cette friperie-salon de thé dans un village de la Creuse.
Créant parfois des attelages étonnants, à l'image de ce couple qui tient à Amiens (Somme) un kebab et le magasin de cigarettes électroniques voisin. Et fait aussi point relais pour les colis, «ce qui génère du passage et du bouche à oreille, bref de la publicité gratuite». Un élargissement du service également proposé par ce vidéo-club de Loire-Atlantique, prisé pour son amplitude horaire et son ouverture quotidienne.
Fidélisation. Beaucoup font part aussi de leur défiance envers des politiques à qui il est reproché d'avoir laissé prospérer les grandes surfaces en périphérie tout en n'aidant pas les commerces de centre-ville confrontés à la crise et à la hausse de l'immobilier. En vrac, «les artisans-commerçants sont sous les radars de la gauche comme de la droite», «les politiques pensent macro et pas micro», ils sont «à côté de la plaque».
Parfois, pourtant, des solutions se font jour. A Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le maire (LR) a mis en place une politique de préemption des baux commerciaux, qui a permis à Corisande Jover d'installer sa librairie dans le département le moins pourvu de France en la matière. Elle connaît des débuts encourageants, à l'ombre de l'immense centre Rosny 2, qui compte notamment une Fnac. Dans ce combat déséquilibré, la fidélisation est un souci quotidien : «Contrairement à Paris, on n'a pas de clientèle de passage, de touristes. On est sur du local. Il faut réussir à faire entrer les clients une première fois et s'assurer qu'ils reviennent.»
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