Ne dites pas à mes électeurs que je travaille sur une nationalisation, ils me croient chef d'orchestre d'une opération de privatisations. Voilà ce que le libéral Bruno Le Maire a dû penser mercredi, au 7e étage du ministère de l'Economie.
Pas facile, en effet, de justifier l'annonce plutôt inattendue de la prise de pouvoir de l'Etat sur les chantiers navals de STX installés à Saint-Nazaire : «Je vous annonce que nous avons pris la décision d'exercer le droit de préemption de l'Etat sur STX. […] Les chantiers navals n'ont pas vocation à rester sous le contrôle de l'Etat. La décision que nous venons de prendre est donc temporaire.»
Entre les lignes, il faut comprendre que l’exécutif a été obligé d’agir, pressé par un calendrier judiciaire. Et surtout, qu’il entend débloquer, le plus rapidement possible, cette affaire qui lui colle aux doigts comme un sparadrap.
Atout tactique
Jusqu’à samedi minuit, l’actionnaire majoritaire des chantiers navals de Saint-Nazaire est la société sud-coréenne STX Offshore & Shipbuilding, qui a déposé son bilan. Or jusqu’à présent il était prévu que cette part du capital soit rachetée par le constructeur de bateaux italien Fincantieri : un deal passé par le précédent gouvernement.
Seul hic, l’actuel président de la République considère, lui, que la France ne peut pas perdre le contrôle d’une infrastructure stratégique comme les chantiers navals. D’autant plus quand il s’agit de l’unique unité en France à même de construire un porte-avion ou un porte-hélicoptère. Pas question donc de détenir moins de 50 % de cet atout tactique. Et comme les Italiens ne veulent pas entendre parler d’une telle parité, la France a sorti l’arme lourde : un droit de préemption qui permet à Paris de récupérer la participation des Sud-Coréens et de détenir 100 % de STX.
L’opération est d’autant moins compliquée qu’elle ne va pas saigner à blanc les comptes de la nation. Il faudra, tout au plus, débourser 80 millions d’euros pour réaliser, ce qui n’est, quoiqu’en dise Bruno Le Maire, qu’une nationalisation pure et simple. Pour autant, elle n’a pas vocation à durer.
Dès mardi, le ministre de l’Economie sera à Rome pour discuter avec son homologue italien. Objectif : lui rappeler que Paris consent toujours à ce que Ficantieri ait la direction opérationnelle de STX, en choisissant le futur président et son directeur général. En revanche pas question de céder sur les 50 % du capital qui doivent revenir à Paris.
Et pour cause : les Italiens de Fincantieri ont un accord de coopération avec les chantiers navals chinois. La France verrait donc d’un fort mauvais œil le savoir faire français filer vers Shanghai.
Dernière carte
«Nous voulons garantir aux salariés, à la région, aux clients […] que les compétences exceptionnelles des chantiers navals de Saint-Nazaire en termes de construction, comme les emplois restent en France», a martelé Bruno Le Maire. Un argument dont il sait qu'il fait mouche, aussi bien auprès des syndicats que des élus locaux de tous bords.
Reste que pour convaincre les Italiens, la France a joué, avec cette nationalisation, sa dernière carte. Elle n’a plus beaucoup d’autres arguments pour les convaincre d’accepter un partage du capital à 50/50. Bruno Le Maire assure qu’il n’y a pas, à ce jour, de négociations avec d’autres investisseurs.
En revanche, il n’est pas question non plus de froisser les Italiens de Fincantieri, dans la mesure où ils sont partenaires de Naval Group (ex-DCNS) : le constructeur français de navires militaires. Ensemble, les deux entreprises réalisent dix-huit frégates destinées aux marines italienne et française et la construction est prévue pour durer jusqu’en 2023.
Aux Italiens qui s'étonnent que la France ait supporté un actionnaire coréen à 66 % pour STX, mais qu'elle ne soit pas prête à agréer un partenaire italien dans les mêmes termes, Bruno Le Maire répond : «Quand on veut s'unir pour longtemps, ce doit être sur de bonnes bases.»
Force est de constater que pour le moment, les fiançailles franco-italiennes ont été quelque peu gâchées.