On les voit squatter les réseaux sociaux, inonder les murs, submerger les flux. Ces publications qui parlent du dernier épisode de la série événement, où foisonnent tops, quiz et autres formats «cool». Dans son numéro du mois d'août, le Monde diplomatique revient sur ces sites d'infotainment qui connaissent une popularité insolente, mais qui abritent derrière la façade à paillettes une foule de contributeurs précaires.
Un ancien rédacteur en chef chez Melty, parti à la suite d'un syndrome d'épuisement professionnel, raconte comment l'entreprise paie des rédacteurs autoentrepreneurs qui enchaînent les papiers pour s'assurer un revenu décent. La rémunération d'un article dépend du nombre de clics que celui-ci génère. En 2014, le site comptait, d'après le collectif Génération précaire, 72 salariés, 60 free-lance et 30 stagiaires. «Pour nous, c'était tout le temps la course à l'argent et à l'audience», raconte l'ancien employé.
Pour répondre aux dernières tendances, la rédaction s'organise autour d'un algorithme, qui fait régulièrement remonter les sujets les plus en vue sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les moteurs de recherche. Une ancienne stagiaire raconte : «Dès que l'algorithme voyait un sujet remonter dans les statistiques, il fallait faire un article dessus, même s'il n'y avait pas d'info. Une fois, je suis allée voir la rédactrice en chef, et je lui ai dit que je n'avais pas d'info sur le thème demandé (la chanteuse Britney Spears). Elle m'a répondu : "Ce n'est pas grave, tu spécules."»
Ces choix éditoriaux ne sont pas anodins. «Sur ces sites aux audiences stellaires, le lecteur est une cible marketing plutôt qu'une personne à informer», un client auquel proposer des publicités qui lui correspondent. Mais la réclame n'est pas ostentatoire avec des bannières ou autres pop-ups susceptibles d'être bloqués par des logiciels anti-pub. Elle se dissimule dans des articles, sans aucune valeur journalistique, sponsorisés par des géants industriels, parmi lesquels Nike ou Coca-Cola ; les fameux publireportages. Un ancien rédacteur chez Konbini dépeint même une véritable autocensure. «A propos de la Coupe du monde de football au Qatar, on voulait faire un article concernant les conditions de travail sur les chantiers. La rédactrice en chef a refusé, parce que Coca n'aurait pas accepté un tel sujet.»
Dépendance aux géants du web
Une logique qu'assume parfaitement Maxime Barbier, cofondateur et directeur de MinuteBuzz, en déclarant : «C'est un super business ! On est en train de prendre la place des annonceurs publicitaires. C'est comme si, à l'époque, TF1 avait dit à Danone : je fais ton spot publicitaire et en plus je te le diffuse. Nos brand contents [«contenus de marque»] font des millions de vues, des gens ne se rendent même pas compte que ce sont des contenus de marque !»
L'article évoque également le cas de BuzzFeed, mais pour mieux souligner ses différences. Si celui-ci propose en effet de nombreux contenus «LOL», il accorde également une grande place à l'information pure en laissant du temps à ses journalistes, employés sous le régime de la convention collective des journalistes.
Par-delà ces différences, tous ces sites reposent sur un trafic provenant essentiellement des réseaux sociaux. «Cette dépendance à l'égard des géants de la Silicon Valley […] dessine à ces médias un avenir en pointillé», estime le Diplo. En effet, Facebook a modifié en 2016 son algorithme pour filtrer les «pièges à clics» dont les sites d'infotainment sont si friands.