Menu
Libération
ça gaze

Et si on recyclait le CO2 pour en faire du carburant ?

Deux chercheurs français sont à l’origine d’une première mondiale : transformer du dioxyde de carbone en méthane, qui à l’avenir pourra par exemple servir de carburant. Ou comment recycler en partie le gaz à effet de serre, responsable du réchauffement climatique.
L'Agence américaine de protection de l'environnement ouvre la voie à des normes sur les émissions de CO2 des avions commerciaux (Photo SAUL LOEB. AFP)
publié le 21 août 2017 à 11h46

Un carburant (le méthane) créé par du CO2 transformé grâce à de l'énergie solaire et à un catalyseur en fer, ça vous semble compliqué ? Pas tant que ça. Le dioxyde de carbone (CO2) est le fameux gaz à effet de serre responsable de 63% du réchauffement climatique causé par l'Homme (à travers ses voitures et sites industriels notamment). Environ 35 milliards de tonnes de CO2 sont émises chaque année. Mais aujourd'hui, seulement 1% des émissions de ce gaz qui donne la fièvre à la planète sont recyclées. De toute évidence, on peut faire mieux et plus vertueux.

C'est sur ce point que se sont penchés deux chercheurs français du Laboratoire d'électrochimie moléculaire de l'université Paris-Diderot, dont les travaux ont été publiés dans la revue Nature le 17 juillet 2017. Ensemble, ils ont mis au point un processus consistant «à stocker l'énergie solaire, qui est inépuisable, dans une molécule de CO2 afin de la transformer en méthane, explique Marc Robert, l'un de ces chercheurs. Lors de son exploitation, le méthane est brûlé et redevient du CO2». «C'est un cycle circulaire du recyclage du CO2», ajoute Julien Bonin, son collègue.

Cette découverte, importante pour la communauté scientifique, est «une première mondiale qui ouvre le champ des possibles», se réjouit Julien Bonin. 90% du gaz naturel est constitué de méthane. Celui créé à partir de CO2 pourrait donc être injecté dans le réseau de distribution et être valorisé sous forme d'électricité, de chaleur ou de carburant automobile. «L'autre intérêt est de stocker l'énergie solaire en utilisant les infrastructures déjà existantes – comme les réservoirs et conduites de gaz – pour couvrir les besoins pendant une période où le solaire et l'éolien ne pourraient couvrir directement les besoins énergétiques», précise Julien Bonin.

Catalyseur à base de fer

En 2010-2011, ils commencent leurs recherches «sans avoir l'objectif de faire de l'énergie» : «On s'est focalisé sur l'utilisation d'un catalyseur [une molécule permettant d'augmenter la vitesse d'une réaction chimique, ndlr] à base d'un métal très présent afin que le coût soit moindre», expliquent les chercheurs. Ce sera le fer, le métal «le plus abondant à la surface de la Terre». S'y ajoute l'utilisation d'une énergie renouvelable, la lumière solaire. Et ça fonctionne. Un carburant est créé à partir du CO: le méthane.

Ils ne sont pas les seuls à s'intéresser à cette transformation. Fin juin, des chercheurs australiens de l'université d'Adelaïde ont ainsi mis au point leur propre catalyseur permettant la transformation, après en avoir testé une centaine. Le leur est fait d'un matériau fabriqué à partir d'un réseau organométallique au zirconium dopé au ruthénium. «Ces travaux ont un réel intérêt scientifique, concède Marc Robert. Mais le zirconium est un métal moyennement abondant dont les réserves sont estimées à environ 40 ans au rythme actuel d'utilisation. Quant au ruthénium, c'est un métal très rare et très cher.» Imaginer des applications utilisant de tels métaux est illusoire. D'où l'intérêt d'un catalyseur à base de fer: 2 400 mégatonnes de ce métal banal sont produites chaque année pour un prix de 0,16 euro le kilo. Ce qui revient tout de même 150 000 fois moins cher qu'avec le ruthénium.

Bactérie à méthane vert

Au Japon aussi, des scientifiques se penchent sur la création de méthane à partir de CO2. Les chercheurs de l'Agence japonaise des sciences et technologies maritimes développent ainsi depuis 2010 leur processus, qui consiste à stocker à plusieurs kilomètres sous terre une bactérie avec du CO2, ce qui permettrait la création de méthane. «Il faut des procédés simples, potentiellement implantables partout, sans risque particulier et utilisables à toutes les échelles, affirme Marc Robert. De ce point de vue, cultiver des bactéries sous terre pour produire du méthane paraît une solution bien complexe techniquement.»

Pour développer à plus grande échelle leur processus, un «travail difficile» attend les deux chercheurs français et leur équipe : la compréhension des différentes étapes de cette transformation, au niveau moléculaire. Ce qui passe aussi par une recherche d'investissements : les chercheurs ont été contactés par des industriels «intéressés par les diverses applications et par le marché du biogaz en plein essor». Comme le soulignent les chercheurs, «le procédé pourrait à terme être une alternative pour produire du méthane vert». Ils regrettent néanmoins qu'il n'y ait pas plus d'investissements publics et privés pour soutenir les chercheurs français qui travaillent sur ces thématiques «alors qu'on vit le début d'une immense révolution sociétale et économique à l'échelle mondiale».

Ce procédé qui, à terme, pourrait être une source d'énergie alternative à l'énergie fossile, ne connaîtra pas une application industrielle avant au moins 10 ou 15 ans. Et il ne permettra pas d'empêcher l'émanation de CO2. «Il ne faut pas attendre des scientifiques des solutions miracles, affirme Marc Robert. Pour réduire l'émission de CO2, la solution se trouve dans un mode de fonctionnement plus sobre : émettre moins de CO2, collectivement.» Un enjeu de société plus qu'un enjeu scientifique.