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GM&S : Alain Martineau, les doigts dans la reprise

Patron du groupe GMD, le discret industriel s’apprête à reprendre le sous-traitant automobile creusois, en liquidation depuis fin juin. Cet habitué du rachat d’entreprises en difficultés réalise une bonne opération tout en sauvant le site, mais en supprimant plus de la moitié des emplois.
Alain Martineau, le 27 juillet à La Souterraine. (Photo Nicolas Marques. KR)
publié le 27 août 2017 à 19h06

Dans une semaine, le tribunal de commerce de Poitiers entérinera vraisemblablement la cession du sous-traitant automobile creusois GM & S, placé en liquidation fin juin, au groupe stéphanois GMD, le seul repreneur qui s’est manifesté. L’épilogue, peut-être, d’un dossier social explosif qui a atterri sur le bureau du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, dès son arrivée à Bercy. Et un succès feutré pour Alain Martineau, le discret PDG fondateur de GMD, numéro 1 français de l’emboutissage de pièces automobiles. Une entreprise qu’il a créée il y a trente ans et dont il a fait une petite success story, dans l’ombre de ses deux grands clients, PSA et Renault.

Silhouette longiligne, tempes noires et crâne chauve, visage émacié et sans âge, silences expressifs et verbe bien trempé, Alain Martineau est un patron tel qu'aurait pu se le figurer Michel Audiard. Et de l'avis général, ce septuagénaire a conduit de main de maître une négociation en coulisses avec l'Etat et les syndicats pour reprendre GM & S, un dossier miné dont il ne voulait pas forcément. «Je voudrais que vous nous voyiez comme des gens qui viennent sauver 120 emplois plutôt que comme ceux qui viennent en supprimer», avait-il argué devant les GM & S, lors d'une rencontre assez tendue à l'usine de La Souterraine (Creuse) le 27 juillet. Une visite au terme de laquelle il avait renoncé à sa dernière condition à la reprise : l'adhésion par vote des salariés à son projet. Et pour cause, avec un projet qui prévoit toujours plus de 150 suppressions d'emplois sur les 277 que comptait l'entreprise, le patron de GMD n'est pas vraiment vu comme un chevalier blanc par les salariés de GM & S, après de longs mois de lutte, de grèves, de manifestations et d'occupations musclées de leur usine.

Celui qui aura évité la fermeture pure et simple de l'usine de La Souterraine reste en tout cas un quasi-inconnu du grand public. Alain Martineau, qui fuit les projecteurs, figurait pourtant jusque récemment parmi les 500 plus grandes fortunes de France : en 2012, le magazine Challenges le rangeait au 385e rang de son classement, avec un patrimoine estimé à 80 millions d'euros… On est loin des potentats du CAC 40, mais Martineau appartient à un autre monde pour les ouvriers de GM & S menacés de perdre leur emploi.

«Champions»

L'homme n'aurait pourtant, dit-on, que faire de l'argent. A 70 ans, sa seule ambition serait de faire en sorte que son œuvre industrielle lui survive, bien que ses deux enfants ne soient pas disposés à reprendre le flambeau. «C'est un type qui ne prend jamais de vacances. Il est passionné par son métier. Franchement, c'est un patron comme on n'en voit plus, un gars atypique et créatif», assure Renaud Le Youdec. Le directeur placé fin 2016 par l'administrateur judiciaire à la tête de l'usine GM & S de La Souterraine a déjà croisé le PDG de GMD. «De toutes les boîtes que j'ai contribué à lui vendre, aucune n'est repassée devant un tribunal», affirme-t-il. Comptable de formation, amoureux des usines et fasciné par l'industrie, Alain Martineau a lancé l'aventure du Groupe Mécanique Découpage (GMD) en 1986. Il a 40 ans quand il rachète l'usine Veron, près de Gisors dans l'Eure, la première d'une longue liste. «Le rachat d'entreprises à la barre des tribunaux : c'est comme ça qu'il a constitué sa fortune»,affirme Isabelle Lebrasseur. Embauchée dans les années 90 chez Veron, la déléguée CGT se souvient : «Il venait régulièrement. Il aime bien être dans ses usines. C'est un homme discret qui connaît les gens par leur nom. Il a toujours laissé une grande liberté à chaque site, mais c'est en train de changer.»

Depuis 2013, GMD a entamé une mue dictée par les choix stratégiques des grandes marques automobiles. «A l'époque, les constructeurs, sous l'impulsion de l'Etat, confrontés à ce qu'ils ont appelé la surcapacité de l'appareil productif français, ont proposé une restructuration concertée. Ils ont mis tous les acteurs de la filière autour de la table avec pour ambition de faire émerger quelques champions européens capables de répondre à leurs attentes dans une économie mondialisée», explique Michel Sonzogni, expert de la filière emboutissage pour le cabinet Syndex. Petit parmi les gros avec ses 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, GMD a choisi son camp et entrepris une restructuration totale, tant pour sécuriser et consolider son activité automobile que pour se rendre attrayant aux yeux des investisseurs.

D’un claquement de doigts, Alain Martineau cède alors pour l’euro symbolique une trentaine de ses entreprises parmi les plus anciennes et qui plombent son activité. Il se sépare de tout ce qui ne produit pas pour l’auto et restructure le groupe tombé à 26 entités en quatre pôles dédiés à la sous-traitance : plasturgie, fonderie, étanchéité et emboutissage. L’objectif est de répondre parfaitement aux standards des constructeurs. Des standards qui se déclinent en deux consignes : rationaliser l’activité en France et investir massivement à l’étranger au pied des nouvelles lignes de productions automobiles.

Avec zèle, le groupe obtempère. Selon un rapport Secafi réalisé pour le compte de l'entreprise, fin 2015, que Libération s'est procuré, «GMD opère un tournant stratégique, passant d'une logique de croissance par rachats successifs de sociétés en difficultés, génératrices de cash à court terme, à une logique de croissance par constructions de nouvelles usines». Des ambitions fortes qui sont «toutes positionnées à l'international», par le biais de constructions d'usines neuves dans «les zones de productions plus low-cost» pour répondre aux «exigences des constructeurs».

Ce virage suppose des investissements lourds pour lesquels le groupe a obtenu en 2015 un emprunt obligataire conséquent de 65 millions d'euros «malgré son endettement historiquement excessif», souligne l'expertise. «Certes, il est fragile financièrement mais extrêmement solide dans sa stratégie industrielle», affirme Michel Sonzogni, de Syndex. Pour lui, le business model de GMD, «c'est de se rendre indispensable, de suivre les constructeurs à la trace et de devancer leurs désirs».

Autre constante de l’histoire du groupe : partout où Alain Martineau arrive, il supprime des emplois, beaucoup d’emplois. Ainsi, entre 2011 et 2015, ses effectifs ont baissé de 37 % en France, tandis qu’ils augmentaient sur ses sites d’Europe de l’Est, d’Europe du Sud, du Maghreb et de Chine, là où ses deux principaux clients, Renault (51 % du chiffre d’affaires) et Peugeot (25 %) avaient récemment ouvert des lignes de production. Sur la même période, GMD n’a créé aucun emploi.

«Lapin»

Le groupe qui employait environ 4 700 personnes en 2011, pour l’essentiel en France, en compte à présent 3 750, dont plus de 1 500 à l’étranger. Entre 2014 et 2015, par le cumul du faible coût de la main-d’œuvre étrangère et des dispositifs fiscaux français incitatifs comme le CICE, les frais de personnels de GMD ont baissé d’environ 8 %. De quoi renforcer les inquiétudes des salariés de GM & S…

Et de fait, son projet pour La Souterraine ne fera pas exception. Son offre suppose le licenciement de 57 % de l'effectif. «Cela fait des mois que cette usine est à l'arrêt et c'est parfaitement indolore pour la filière. J'ai conscience que c'est dur socialement et triste pour le territoire, mais j'ai bâti mon groupe sur une vision rationnelle et solide», assume Alain Martineau, interrogé par Libération. En achetant l'usine de La Souterraine, aux antipodes géographiques et économiques de son projet industriel mondialisé, GMD se contenterait donc de rendre service à ses grands clients, Renault et PSA. Mais Martineau y voit sûrement son intérêt. «Ce n'est pas un lapin de six semaines, ironise Jean-Marc Ducourtioux, délégué CGT de GM & S. On l'a très peu vu dans les médias ou dans les discussions au ministère et pourtant, pendant des mois, il était en contact avec tout le monde : de l'administrateur au directeur, en passant par les constructeurs et nous, les syndicats.» Ainsi, les premiers échanges entre la CGT creusoise et le PDG de GMD remontent à février 2017, bien avant l'élection de Macron et la mise en place de la cellule de négociation ministérielle qui prétendait par la voix de Bruno Le Maire avoir sauvé GM & S fin juillet.

«On peut en penser ce que l'on veut, mais Martineau est un spécialiste de la filière auto, il connaît la question industrielle et il est reconnu pour ça», confesse Michel Sonzogni. Il l'a démontré en négociant, pied à pied, ses conditions pour reprendre La Souterraine, une usine vers laquelle il avait en fait déjà lorgné en 2010 et 2014. «Il se savait désirable. Sur la cinquantaine d'entreprises approchées par Bercy, il n'y avait que lui pour reprendre. Il ne s'est pas laissé tordre le bras et a négocié des conditions enviables», selon une source proche des discussions. Ce que confirme Me Borie, l'avocat des salariés creusois, «15 millions d'euros d'investissement et des engagements de commandes sur cinq ans sur un site français : dans le contexte actuel, c'est inouï».

Acheter l’usine de GM & S est une bonne opération pour GMD. D’abord parce qu’elle possède un atelier de cataphorèse (1). Cet outil rare et coûteux, GMD n’en possède pas, ce qui l’oblige à sous-traiter l’opération. Ensuite, parce qu’en termes de maillage, avec les sites de Châteauroux et Brive-la-Gaillarde, il consolide ses positions dans le centre de la France. Mais également parce que certains de ses sites sont en surcharge et recourent fortement à l’intérim (104 CDI pour 130 intérimaires rien que chez Veron).

Mais, fidèle à sa réputation, l'industriel n'a pris aucun risque. Ces sept mois de conflit social lui auront permis de grappiller quelques avantages en sus : la dépollution du site, le rachat des murs et 22 millions d'euros de chiffre d'affaires annuels. Econome en mots mais fulgurant en repartie, l'intéressé avait prévenu dès juillet : «Si Emmanuel Macron n'est pas le père Noël, moi je ne suis pas Zorro.» 

Un agenda serré

Ce lundi, les salariés du sous-traitant automobile GM & S sont appelés à une assemblée générale. Le délégué CGT Vincent Labrousse évoque «une opération d'envergure nationale», qui pourrait viser PSA et Renault. Vendredi, un comité d'entreprise doit se prononcer, à titre consultatif, sur le plan de reprise. Le 4 septembre, le tribunal de commerce de Poitiers devrait décider du sort de la société, en désignant officiellement GMD comme le repreneur de l'usine, de ses locaux et de son fonds de commerce, mais pas de l'ensemble des salariés. A l'issue de l'audience, une procédure de licenciements va être lancée. Elle touche 157 postes sur 277. Les salariés réclament toujours une prime pour ceux qui vont perdre leur emploi, en plus des indemnités légales de licenciement.

(1) La cataphorèse est une technique de peinture industrielle qui utilise le dépôt de particules de peinture par électrophorèse.