La vente en ligne est devenue une activité bien trop stratégique pour que les grandes enseignes traditionnelles du commerce physique se contentent d’une simple diversification de leurs canaux de vente. C’est à cette aune qu’il faut lire l’annonce du rachat de La Redoute par le groupe Galeries Lafayette, annoncé jeudi pour un montant resté secret. Une petite révolution tant le rapprochement de ces deux enseignes aux clientèles très différenciées paraissait inimaginable il y a peu encore.
Le nouvel ensemble, qui représente aujourd'hui un chiffre d'affaires de 4,5 milliards d'euros, entend donner naissance à un groupe véritablement «omnicanal» et réaliser 30% de son activité via le numérique à l'échéance 2020, avec un milliard de plus de chiffre. Les grands magasins vont prendre – via la holding familiale Motier – une participation majoritaire de 51% dans l'ancien champion de la vente par correspondance, avec une option leur donnant le droit de monter à 100% d'ici à 2021.
Il s’agit de la première acquisition d’importance depuis une quinzaine d’années pour le groupe de la famille Moulin, propriétaire des Galeries Lafayette. A part une prise de participation dans le groupe Carrefour dont elle est devenue le premier actionnaire avec 11,5% du capital, la tendance était même plutôt aux cessions : vente de ses 50% dans Monoprix au profit de Casino en 2013 puis de ses 50% dans la société de crédit Laser Cofinoga un an plus tard.
Ne plus regarder les trains passer
Mais face aux grandes manœuvres qui se multiplient dans le commerce avec un rapprochement des distributeurs et des «pure players» de l’Internet, les Galeries Lafayette, qui s’étaient fixées en 2013 l’objectif de passer de 2% à 10% de leur chiffre d’affaires réalisé sur le Web, ne pouvaient continuer à regarder les trains passer. Le rapprochement de Walmart avec Google aux Etats-Unis, la montée en puissance très menaçante d’Amazon qui vient de finaliser le rachat des supermarchés bio Whole Foods Market outre-Atlantique, la reprise de Rue du Commerce par Carrefour ou encore l’investissement de Conforama dans Showroomprivé ont clairement montré aux Galeries Lafayette que le rachat d’un gros poisson du Web n’était plus seulement une option mais une obligation. Une stratégie commencée en 2016 avec le rachat de cybermarchands spécialisés (InstantLuxe dans les produits de luxe d’occasion, BazarChic dans la vente événementielle de produits de grandes marques), mais qui nécessitait d’en passer par une acquisition de plus grande dimension.
Fondée en 1837, La Redoute – qui s'appelait alors Filatures de la Redoute – n'est pas franchement un nouveau venu. Mais après avoir frôlé la catastrophe, l'ex-vépéciste de Roubaix devenu une entreprise 100% Internet est en train de réussir sa mue trois ans après être sorti du groupe Kering, – ex-Pinault Printemps Redoute (PPR) – et avoir été repris par ses deux principaux dirigeants, qui ont associé le personnel à l'aventure. Ce dernier détient 15% du capital (2 000 personnes) et les 50 premiers cadres de l'entreprise 30%, tandis qu'Eric Courteille et Nathalie Balla détenaient 55% de l'entreprise avant l'opération annoncée ce matin. Tous seront dilués au prorata de leur participation actuelle.
Cédée pour un euro symbolique par l'ex-PPR en 2014, l'entreprise nordiste a utilisé les 500 millions d'euros mis dans la corbeille du divorce par Kering pour opérer un repositionnement complet. Les effectifs ont été réduits d'environ un tiers et l'outil logistique modernisé. Surtout, La Redoute a abandonné une grande partie de son catalogue en passant à une approche personnalisée et exclusivement numérique centrée autour de quatre catégories de produits : l'enfant, la femme, le meuble et le linge de maison. Un pari que le nouveau cybermarchand est en passe de réussir : comme prévu, l'enseigne a renoué avec la croissance, même si elle est encore faible (750 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2016), et le plan qui vise d'atteindre le milliard d'euros de ventes à l'horizon 2021 (dont 30% à l'étranger) est «autofinancé», assurent ses dirigeants.
Complémentarité des offres
Si les deux entités resteront indépendantes sur le plan de la gestion, avec des équipes de direction inchangées, des synergies sont déjà évoquées. Elles concerneront les achats, la logistique et l’exploitation des données clients, soit 20 millions au total. Les dirigeants ont mis en avant la complémentarité des offres des deux entités lors de la présentation à la presse jeudi. Une gamme accessible et généraliste pour La Redoute, le luxe de l’abordable au hors de prix pour les Galeries Lafayette.
La Redoute apportera son expertise en meubles et décoration (la moitié de ses ventes) sur le développement de marques propres comme AM.PM et sa présence internationale dans 7 pays. Elle s’est même mise à rouvrir des magasins, dont trois emplacements dans les Galeries Lafayette, après avoir fermé l’intégralité de ses 600 points de retrait et les 14 magasins qu’elle possédait avant 2009.
Quant aux grands magasins, ils apportent à leur nouvelle entité cybermarchande de nouveaux espaces de vente avec leur réseau de 60 implantations en France (avec le BHV) et 7 à l’international (dont un deuxième en Chine à Shanghai en 2018). Au passage, le nouvel ensemble devient le numéro un français du très éparpillé marché de l’habillement, avec une part de marché de 4,4%. De quoi faire émerger un «groupe leader du commerce physique et digital», comme on dit désormais.