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Libération

Quarante-cinq ans de macadam combat

Le droit de pédaler en ville a commencé à être réclamé par des cyclistes-militants dans les années 70. Un mouvement social qui dépasse le cadre de l’Hexagone mais reste minoritaire.
«Plus d’autos, des vélos» : manifestation de cyclistes sur les Champs-Elysées, à Paris, le 22 avril 1972. (Photo Keystone France)
publié le 1er septembre 2017 à 19h36

Sur les réseaux sociaux, il est possible que vous ayez déjà aperçu cette drôle de formule :#GCUM. Repris sous la forme d’un sticker à coller sur le pare-brise des véhicules stationnés en travers des voies réservées aux vélos (et aux piétons), ce sigle pour «garé comme une merde» est devenu en quelques années l’expression fétiche d’une poignée de cyber-militants du vélo. Très actifs sur la Toile - on parle même d’une «vélosphère» -, des cyclistes urbains ont trouvé dans ce cri de ralliement un moyen de dénoncer avec ironie les incivilités quotidiennes des automobilistes, photographiées et étalées en place publique. Autre exemple de cybermilitance cycliste : rapporter à l’aide d’une GoPro les défauts des aménagements cyclables, par exemple des nids de poule, pour alerter les pouvoirs publics.

Sérénité

«Je suis contre les grandes envolées lyriques. Certains cyclistes sont même parfois ingrats avec les pouvoirs publics, mais ça vaut le coup de réagir sur Twitter», explique Emmanuel, auteur du blog «Sortir de Paris à vélo». Grâce à ses tweets, ce cycliste parisien raconte que sa démarche porte ses fruits, puisqu'il a plusieurs fois été contacté par des élus locaux. Cet activisme provélo 2.0, minoritaire, n'a que quelques années. Toutefois, il est le petit dernier d'une lutte vieille de quatre décennies pour le droit de pédaler en ville en toute sérénité.

Ce combat est né dans les grandes villes du nord de l’Europe, à Amsterdam, Bruxelles ou Copenhague, à la faveur des années 70. A cette époque, des cyclistes rendus inexistants par le tout-bagnole se réunissent pour dénoncer la place accordée à la voiture et ses méfaits sur l’aménagement des centres-villes. A Paris, le soixante-huitard Brice Lalonde, futur ministre de l’Environnement d’Edith Cresson, convainc la branche française des Amis de la Terre d’organiser la première manifestation à vélo. Sous le slogan «Le pétrole on s’en fout, l’énergie c’est nous», le rassemblement réunit environ 10 000 cyclistes, de l’Etoile à Vincennes, le 22 avril 1972. Un succès fondateur pour le mouvement écologiste.

Au même moment, des cyclistes emmenés par Jacques Hessel, le frère du cofondateur de la Fnac, s'organisent et obtiennent la fin des verbalisations pour les vélos qui empruntent les couloirs de bus à droite de la chaussée. Cette victoire lance en 1974 le Mouvement de défense de la bicyclette (MDB), première organisation d'un mouvement national - des associations naissent aussi à Strasbourg (lire page 6) et à Grenoble - bien que minoritaire. «A l'époque, nous étions une espèce tout à fait rare, nuance Isabelle Lesens, une ancienne militante du MDB, aujourd'hui élue dans le XVe arrondissement parisien. Je dis toujours que le principal rôle des associations, ça a été de faire en sorte que le mot "vélo" ne soit pas oublié.»

Lobbying

Car jusqu'au milieu des années 90, la «vélorution» française fait du surplace, la pratique cycliste quotidienne pour se rendre au travail restant marginale. Inspirés par les premières «masses critiques» (ces énormes manifs à vélo organisées à San Francisco depuis 1992), des cyclistes plus radicaux, comme les Jeunes écologistes puis en 2003 le collectif Vélorution, décident alors de reprendre régulièrement le macadam, parfois nus comme des vers.«Ces militants vont investir le terrain médiatique et symbolique contre la domination automobile, explique Maxime Huré, professeur de sciences politiques à l'université de Perpignan, spécialiste du militantisme à vélo. Mais dans le même temps, d'autres acteurs associatifs se sont aussi professionnalisés, ont obtenu des subventions publiques ou ont été recrutés dans les collectivités.» Ce choix du pragmatisme et du lobbying, opéré par l'association Paris en selle ou la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) n'a cependant pas encore complètement fait basculer les décideurs publics en faveur de la cause du vélo en ville.