L’histoire du vélo à Strasbourg commence par un drame. En cette journée d’octobre 1975, le boulevard qui borde la place d’Haguenau est bondé d’automobilistes. Livrée à elle-même, une cycliste tente malgré tout de se frayer un chemin au milieu des pots d’échappement. En vain. Ecrasée par un camion, la mère de famille meurt sur le coup. Dès le lendemain, l’accident fait grand bruit. L’opinion publique s’émeut, des personnalités locales dénoncent des conditions de circulation trop dangereuses pour les cyclistes. Le pasteur Jean Chaumien va même jusqu’à créer l’association Comité d’action des deux roues 67 (Cadr67). Le maire centriste de l’époque, Pierre Pflimlin, réagit et annonce des aménagements pour les deux roues à pédales. Quarante ans plus tard, notre pied n’a pas encore touché les pavés qui devancent la gare de Strasbourg que l’ambiance est déjà posée. Devant l’édifice en verre, plusieurs centaines de vélos cadenassés attendent le retour de leurs propriétaires.
Borne
En quatre décennies, Strasbourg est devenue la première ville cyclable de France. Au total, plus de 560 kilomètres de pistes ont été construits. En 2015, le cabinet danois Copenhagenize a même classé la capitale européenne «quatrième ville la plus cyclable au monde». Pas peu fier, le maire PS, Roland Ries, qualifie de «visionnaire» le travail accompli. Et ce, «surtout depuis 1989», date à laquelle il prit ses premières responsabilités d'élu. «On voulait absolument éviter que Strasbourg devienne un parking géant. Désormais, le vélo, comme l'Europe, est l'un des marqueurs d'identification de la ville», explique-t-il face à la baie vitrée de son bureau d'où l'on aperçoit une borne chargée de comptabiliser les passages de bicyclettes. Si visionnaires soient-elles, les équipes municipales sont en réalité allées jeter un coup d'œil 60 kilomètres à l'est, chez leurs voisins allemands, précurseurs en matière de vélo, pour faire les bons choix. «Nous avons pris exemple sur Fribourg. L'Allemagne est en avance à ce niveau», reconnaît l'élu. Si le vélo est une arme de communication pour vanter les charmes de Strasbourg, il est surtout un moyen de transport largement adopté par les quelque 477 000 habitants de la métropole alsacienne. Les 5 500 Vélhop - l'équivalent du Vélib à Paris - disponibles sont régulièrement pris d'assaut. «Il nous arrive d'être en rupture de stock. Pour en louer un à l'année, le délai d'attente peut monter jusqu'à un mois», avoue Laura, gérante d'une station de location en centre-ville. En 2016, il est passé 2 millions de pistards devant le centre commercial Rivetoile, situé dans le sud de Strasbourg. Plus de 50 % des Strasbourgeois pratiquent le vélo. Un record en France.
Interne en médecine, Pierre fait partie de l'un d'eux. «J'ai une voiture, mais je ne m'en sers que pour mes nuits de garde. Depuis sept ans, il n'y a pas un jour où je n'utilise pas mon vélo. C'est économique et plus rapide. En voiture, je mets quarante minutes, à vélo, deux fois moins. La vie à vélo à Strasbourg, c'est carrément facile», lâche l'étudiant de 25 ans. Reste à concerner la totalité des Strasbourgeois. «Une enquête montre que 15 à 20 % des habitants de certains quartiers défavorisés ne savent pas faire de vélo. Le défi, désormais, c'est que la pratique ne soit pas réservée à certaines classes sociales», explique le dirigeant de Cadr67, Fabien Masson. «Tous les ans, on apprend à faire du vélo à 300 personnes», poursuit le membre de l'association subventionnée à hauteur de 80 000 euros chaque année par la mairie.
Apaisé
Pour l'anecdote, on a quand même voulu essayer pour vérifier que Strasbourg était bel et bien le paradis de la bicyclette. Et effectivement, aller d'un point A à un point B n'a rien de compliqué. Entre le Parlement européen et la cathédrale, nos roues n'ont emprunté que des pistes cyclables et des rues piétonnes sur les trois kilomètres qui séparent les deux institutions. Rarement au contact des automobilistes, on traverse boulevards et carrefours sans grande frayeur, dans un climat apaisé. Visiblement, à Strasbourg, les voitures ont accepté la cohabitation avec leurs cousins à deux roues. Pierre avait donc raison : «La vie à vélo à Strasbourg, c'est facile.» Et humide aussi. Pédaler dans la ville a beau être pratique, écologique et économique, le vélo sous la pluie, ça reste pénible, même ici.