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Conflit

Extraction de sable à Lannion, un dossier bien embourbé

Les opposants au projet rament depuis plusieurs années pour obtenir l'annulation de l'exploitation de sable coquillier dans la baie de Lannion. Reçus mercredi à Bercy, ils n'ont obtenu aucune avancée.
Manifestation contre l'extraction de sable à Lannion dans les Côtes-d'Armor, le 11 septembre 2016 (Photo FRED TANNEAU. AFP)
publié le 2 septembre 2017 à 15h00

C’est un peu le Notre-Dame-des-Landes breton. En baie de Lannion, un projet d’extraction de sable est vivement contesté par la population locale, qui a obtenu l’arrêt des travaux il y a un an. Mercredi, les opposants au projet ont été reçus au ministère de l’Economie et des finances pour une «réunion de conciliation». La délégation est sortie déçue, sans «aucun engagement» de la part du gouvernement. Pas de reprise ni d’arrêt de l’extraction, pas non plus de calendrier précis dévoilé. Le projet reste suspendu. Décryptage de ce feuilleton qui dure depuis presque sept ans.

Pourquoi ce projet d’extraction ? 

Ce projet est porté par la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), une filiale du groupe Roullier spécialisé dans la production et la transformation chimique de nutriments et d’aliments. La société utilise le sable coquiller, principalement constitué de débris de coquillages, pour fournir les agriculteurs bretons. Riche en calcaire, il est sert à diminuer l’acidité des terres. En 2010, la CAN demande à exploiter une immense dune sous-marine située dans la baie de Lannion, à 5 km des côtes du Finistère et des Côtes-d’Armor. Elle exploite déjà deux gisements au large de Paimpol et dans la baie de Morlaix, insuffisant selon la CAN pour assurer la rentabilité économique de l’entreprise.

Le dossier initial tablait sur le prélèvement de 8 millions de mètres cubes de sable en 20 ans, soit 400 000 m3 par an. La CAN a obtenu les autorisations nécessaires au prélèvement en 2015. Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, signe d'abord un décret délivrant le titre minier à la CAN. Et ce malgré l'opposition de Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, pour qui cette décision «n'était écologiquement pas responsable».

Le décret est un peu plus restrictif que ce que demandait la CAN. Les travaux pourront commencer dès le 1er septembre 2016 mais l'extraction sera interdite pendant la saison estivale, entre mai et août. Les quantités sont aussi revues à la baisse : le volume d'extraction de sables coquilliers ne pourra pas excéder 250 000 m3 par an. En décembre 2015, le préfet du Finistère donne à lui aussi son feu vert en signant un arrêté d'ouverture des travaux. La concession est accordée pour une durée de 15 ans mais l'autorisation préfectorale d'extraction devra être renouvelée annuellement. «Si nous observons qu'il y a des conséquences dommageables, l'arrêté préfectoral ne sera pas reconduit et les travaux seront arrêtés», expliquait alors Emmanuel Macron. 

Pourquoi le projet est-il contesté ? 

Depuis le départ, de nombreux acteurs concernés par l’extraction - pécheurs, élus locaux, associations environnementales…- contestent le projet. Les opposants estiment que le dossier d’enquête publique déposé par la CAN est incomplet compte tenu des conséquences économiques et écologiques que l’extraction peut avoir au niveau local.

La dune est située entre deux zones protégées Natura 2000 et de la réserve ornithologique des Sept-Îles. Au niveau écologique, «l'extraction a surtout un impact sur la chaîne alimentaire des poissons nobles et des oiseaux dans cette zone, et aussi sur la pêche côtière», s'inquiète le biologiste Hervé Le Guyader. «Cette dune contient beaucoup de lançons, des petits poissons d'une dizaine de centimètres qui servent par exemple de nourriture aux Fous de Bassan. Or la zone est à proximité d'une réserve ornithologique importante. Pendant la nidification, les oiseaux viennent se nourrir sur cette dune, qui sert aussi de nurserie pour les alevins des poissons nobles comme les bars, les turbots, les lieus», poursuit-il. Le pompage des fonds marins crée aussi un nuage de poussières qui peut opacifier l'eau et perturber la pêche des oiseaux.

Le collectif a désormais un nouvel argument : une espèce protégée a été détectée par des scientifiques fin 2016 dans la baie de Lannion. Il s'agit d'une sorte de corail, la gorgone, classée vulnérable. Alain Bidal regrette qu'aucun inventaire des espèces de poissons n'ait été dressé par la CAN et demande des études complémentaires. «Il est difficile de sensibiliser à la protection de la biodiversité marine puisque ce sont des choses qui ne se voient pas», rappelle le biologiste Hervé Le Guyader.

Le problème est enfin économique car les lançons de la dune servent d'appât pour les lignes des pêcheurs locaux. «Une centaine de marins dépendent de ce site, ce qui correspond à 400 emplois à terre», estime Alain Bidal, qui ajoute qu'il est difficile de mesurer les conséquences sur l'emploi local. Celui-ci craint aussi un retrait des plages, et donc des touristes, ressource économique de la région. L'extraction du sable peut en effet avoir des répercussions sur l'érosion du littoral si elle est menée trop près des côtes.

Quelles démarches ont été entreprises ?

Le collectif Le peuple des dunes en Trégor, créé en janvier 2012, demande l'arrêt définitif du projet, et donc l'annulation du décret minier de Macron. Le 3 août 2016, il a déposé  avec plusieurs communes environnantes un recours en référé pour l'annulation des arrêtés préfectoraux autorisant l'exploitation. Demande rejetée le 5 septembre. La CAN dépêche alors ses bateaux et commence à extraire du sable durant deux nuits d'affilée. Procédé contre lequel 4000 à 5000 personnes ont manifesté dans la foulée à Lannion le 11 septembre. «Il n'est résolument pas acceptable de commencer l'exploitation à la sauvette», avait même regretté Emmanuel Macron.

Deux jours après, la CAN décide de suspendre ses prélèvements jusqu'en novembre «dans un souci d'apaisement» tout en rappelant qu'elle n'avait enfreint aucun règlement. Ce même 13 septembre, Ségolène Royal lance de son côté une inspection sur les conditions de réalisation du chantier qui pourrait décider de l'avenir du site. La ministre de l'Environnement en conclut quelques mois plus tard que «la réglementation n'[a] pas été appliquée, notamment l'évaluation des dégâts environnementaux sur la baie de Lannion» et demande donc au préfet de ne pas renouveler l'arrêté d'exploitation, qui était valable jusqu'en décembre 2016.

Pourquoi ça n’avance pas ?

D'un côté, il y a la CAN qui dispose de toutes les autorisations nécessaires légalement. Contactée par Libération, la compagnie ne souhaite pas s'exprimer dans l'immédiat. De l'autre côté, la contestation ne s'essoufle pas au niveau local. En sept ans, Alain Bidal a été reçu une dizaine de fois pour des réunions de concertation sur le dossier. Et d'énumérer les rencontres avec Nathalie Kosciusko-Morizet, Delphine Batho, Nicole Bricq, Arnaud Montebourg, Emmanuel Macron quatre fois, Ségolène Royal… Aujourd'hui encore, qui dit nouveau gouvernement dit nouvelle équipe, et reprise des discussions. «Le but de la réunion de mercredi était surtout de savoir quel était notre degré de mobilisation», commente Alain Bidal. Il ajoute que les élus locaux sont unanimes sur le sujet, et donc tous pour l'annulation définitive du titre minier accordé à la CAN.

Nicolas Hulot, hostile au projet, a travaillé sur le dossier avec Bruno Le Maire. «Mais in fine c'est le ministre de l'Economie qui tranchera», rappelle Alain Bidal, ajoutant que Bruno Le Maire est dans une position délicate. Il est peu probable qu'il décide de remettre en cause le décret signé en personne par Emmanuel Macron. L'Etat dit aussi refuser d'abandonner le dossier pour le moment car cela l'obligerait à dédommager la CAN. Une autre option est à l'étude : l'exploitation d'un autre gisement à 40 km des côtes. Mais la compagnie n'y est pas favorable car ce serait trop coûteux et plus technique (trop loin, trop profond). Après avoir consulté l'opposition locale, le ministère de l'Economie devrait prochainement recevoir des représentants de la CAN. En attendant, le collectif menace d'organiser de nouvelles manifestations.