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Hydrocarbures

Sortie des énergies fossiles : un projet de loi surtout symbolique

Le projet de loi visant à cesser la production de pétrole et de gaz en France à l'horizon 2040 ne concerne qu'1% de la consommation nationale d'hydrocarbures. Des associations et collectifs citoyens pointent des failles.
Un appareil de forage ce la société canadienne Vermilion, à Andrezel (Seine-et-Marne), le 6 septembre. (Photo Thibault Camus. AP)
publié le 6 septembre 2017 à 19h07

Le candidat Macron l'avait dit et répété durant la campagne présidentielle : il veut «sortir la France des énergies fossiles» (pétrole, gaz et charbon), tant notre dépendance à leur égard «nuit au climat, à la santé, à la souveraineté [du pays] et coûte plusieurs dizaines de milliards d'euros par an». Pour y parvenir, il s'était notamment engagé à interdire l'exploration des gaz de schiste et à ne délivrer «aucun nouveau permis d'exploration d'hydrocarbures» sur le territoire national.

La promesse avait été reprise par son ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. Dans son plan climat présenté le 6 juillet, ce dernier donnait rendez-vous en septembre pour le dépôt d'un projet de loi destiné à «laisser les énergies fossiles dans le sous-sol». Selon les scientifiques du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), pour pouvoir respecter l'objectif de l'accord de Paris (limiter à 2°C la hausse de la température moyenne du globe par rapport à l'ère préindustrielle), 80% des réserves fossiles déjà connues doivent en effet rester dans le sol. Pile deux mois plus tard, le texte vient d'être présenté ce mercredi en conseil des ministres. Sa portée est surtout symbolique et son envergure limitée. Décryptage.

Quelles sont les principales dispositions du texte ?

Le projet de loi «relatif à l'interdiction de l'exploitation des hydrocarbures», dans sa version soumise pour avis fin août au Conseil national de la transition écologique (CNTE), comporte trois titres (et cinq articles). Seul le premier est véritablement intéressant, les deux autres portant sur diverses dispositions techniques destinées à mieux protéger les consommateurs d'énergie et transposer des directives européennes.

Il prévoit d'abord de fermer définitivement la porte aux hydrocarbures non conventionnels (comme le gaz et le pétrole de schiste). La recherche et l'exploitation par fracturation hydraulique – seule technique disponible à ce jour – avaient déjà été interdites par la loi du 13 juillet 2011. Mais le projet de loi présenté au CNTE va plus loin, en prévoyant une interdiction «par quelque technique que ce soit».

Côté hydrocarbures conventionnels (les gaz et pétrole «classiques»), il en interdit l'exploration immédiatement. Dès la publication de la loi, en effet, aucun nouveau permis de recherche d'hydrocarbures ne sera attribué sur le territoire national. En revanche, l'Etat permet une prolongation des 31 permis exclusifs de recherche déjà attribués et l'octroi d'une concession d'exploitation en cas de découverte d'hydrocarbures. Il prévoit aussi la possibilité de prolonger les concessions de pétrole et de gaz en cours de validité (elles sont aujourd'hui 63, sur une superficie globale d'environ 4 000 km², dans les bassins parisien et aquitain). Tout ceci au nom de la non remise en cause des droits acquis par les entreprises, pour éviter tout risque de procès coûteux.

«Les concessions d'exploitation existantes ne pourront pas être renouvelées au-delà de 2040, ce qui programme à cet horizon la fin de l'exploitation», précise-t-on au ministère, cette date butoir de 2040 ne figurant pas noir sur blanc dans le projet de loi. L'ensemble des dispositions du projet de loi s'appliquent aussi bien pour la terre ferme que les projets en mer. Et l'outre-mer est concerné au même titre que la métropole. Ce qui veut dire qu'en Guyane, où les compagnies pétrolières avaient porté leurs espoirs ces dernières années, seul le permis d'exploration «Guyane Maritime», déjà octroyé à Total, Shell et une filiale du Britannique Tullow Oil pourra être renouvelé et donner éventuellement lieu à une exploitation si les recherches s'avèrent concluantes.

Que va-t-il changer?

Au-delà du symbole, pas grand-chose. Car la France produit déjà extrêmement peu d'hydrocarbures : à peine 815 000 tonnes de pétrole par an, soit l'équivalent de 6 millions de barils, et 400 millions de m3 de gaz. Ce qui ne correspond qu'à 1% de la consommation nationale. Le gisement de gaz de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), qui était le plus important du pays, n'est plus exploité. Et depuis les manifestations citoyennes et la loi de 2011, les compagnies ne comptaient plus trop sur le pays pour y exploiter des gaz et pétrole de schiste. Leur fermer définitivement la porte grâce à ce projet de loi, «c'est bien juridiquement et politiquement, mais par rapport à la réalité sur le terrain, cela reste symbolique, car des compagnies comme l'Américain Hess Oil avaient déjà abandonné l'idée d'exploiter des hydrocarbures de schiste en France», estime l'avocat en droit de l'environnement Arnaud Gossement. Et de remarquer au passage deux (légers) manques : le texte ne précise ni la sanction encourue en cas de non-respect de l'interdiction, ni si ce sera au demandeur d'un titre minier ou d'une autorisation de travaux de prouver que son projet ne concerne pas des hydrocarbures de schiste.

Pour défendre son projet de loi, l'exécutif met en avant son exemplarité, arguant que la France est «le premier pays au monde» à proposer un projet de loi visant à interdire la recherche et l'exploitation des hydrocarbures sur son territoire (en réalité, le Costa Rica a déjà pris des mesures similaires). Emmanuel Macron, par la voix du porte-parole du gouvernement Christophe Castaner, s'est ainsi félicité mercredi que la France se place «à l'avant-garde» de la lutte contre le dérèglement climatique. Quant à Nicolas Hulot, il «pense que d'autres pays vont emboîter le pas, comme on l'a vu sur d'autres mesures [qu'il a] annoncées, comme la fin de la vente d'ici 2040 de voitures qui émettent des gaz à effet de serre».

Quelles sont ses limites ?

Le texte prend soin de proposer une définition des hydrocarbures non conventionnels. Ce sont les hydrocarbures liquides ou gazeux piégés dans la roche mère (autrement dit, les gaz et pétrole de schiste), les hydrates de méthane enfouis dans les mers ou sous le pergélisol (le sol gelé en permanence). Mais les hydrocarbures gazeux contenus dans les couches de charbon ne sont pas concernés, échappant de facto à l'interdiction de leur exploration et exploitation.

Or cette exception fait bondir plusieurs collectifs locaux (essentiellement de Lorraine, du Jura et du nord de la France) opposés au pétrole et gaz de schiste et de couche. Dans une lettre ouverte adressée à Nicolas Hulot le 29 août, ils s'étonnent et s'inquiètent de l'exclusion du gaz de couche (gaz de houille ou «coal bed methane», que l'on trouve dans des couches de charbon non exploitées par l'homme), se disant concernés par l'activité et les projets d'une entreprise australienne dénommée la Française de l'énergie, qui recherche depuis 2004 ce type de gaz en Lorraine. «Toutes leurs tentatives se sont soldées par des échecs, mais les techniques sont invasives et nous constatons déjà les nuisances, témoigne Anaëlle Lantonnois, du collectif citoyen Apel57. Le dernier forage, à Lachambre, en Moselle, a nécessité l'utilisation de 7 millions de litres d'eau potable, issus des nappes phréatiques qui alimentent des milliers de familles. Dans tous les pays où le gaz de couche est exploité, les impacts environnementaux sont avérés et documentés. En Lorraine comme ailleurs, il doit rester dans le sol.»

Dans le projet de loi tel qu'il est actuellement, de facto, la Française de l'énergie peut parfaitement poursuivre ses recherches de gaz de couche, et pourrait donc en théorie demander une concession d'exploitation et l'exploiter commercialement si celles-ci s'avéraient fructueuses. Ce que rien ne justifie, selon les associations de citoyens. «Ce gaz de couche n'a rien à voir avec le gaz de mine qu'on appelle le grisou, explique Isabelle Lévy, du collectif "Non au pétrole de schiste 77". Le grisou doit absolument être capturé car il est dangereux. Tandis que le gaz de couche, lui, ne présente aucun danger d'explosion. Il doit donc rester, comme tous les autres hydrocarbures fossiles, dans le sol.»

Si les ONG saluent l'objectif du projet de loi de sortir des énergies fossiles, elles regrettent que celui-ci n'aille pas jusqu'au bout de son exemplarité affichée. Ainsi, pour Juliette Renaud, chargée de campagne sur les industries extractives aux Amis de la Terre, «juridiquement, il serait tout à fait possible de restreindre le "droit de suite" accordé aux compagnies détenant déjà des permis de recherche, afin de redonner à l'Etat la possibilité de refuser des concessions au vu des risques environnementaux et de l'urgence climatique. Mais l'Etat ne veut pas toucher aux permis actuels pour une question principalement financière, pour éviter de nombreux contentieux et demandes d'indemnisations».

Pour l'avocat Arnaud Gossement, le projet de loi comporte par ailleurs deux lacunes majeures : «il ne contient aucune réforme d'ensemble du code minier, pourtant nécessaire et attendue depuis 2009, et il ne s'attaque pas à la véritable urgence, qui est de faire baisser la consommation d'hydrocarbures». Nicolas Hulot se dit conscient de ce dernier enjeu. «Ce projet de loi n'est pas l'alpha et l'oméga, c'est un élément important qui doit être assorti de deux autres priorités présentées dans le Plan Climat et que je vais développer dans la programmation pluriannuelle de l'énergie : la réduction de notre consommation - avec un objectif de réduction de 50% d'ici 2050 - et le développement des énergies renouvelables», a-t-il assuré à l'AFP.