Déjà dépassé ? L’annonce de Twitter de doubler la longueur des messages correspondrait pour beaucoup d’observateurs à un début de banalisation du réseau, et donc à son rapprochement, forcément dangereux, de Facebook. Cela signerait-il le début de la fin pour l’entreprise ? Ou bien cela annonce-t-il au contraire un redéploiement, une réinvention de la formule Twitter ?
Rappelons que les 140 caractères reflétaient le nombre restreint de signes permis par le SMS de naguère, limité à 160. Des formes brèves, expéditives même, caractérisent Twitter. Des adresses, des invectives et surtout les hashtags ont structuré l’usage et la méthode propres à Twitter. En passant à 280, on entrerait dans un nouveau style, encore inconnu.
Au-delà du nombre de caractères, Twitter a aussi engendré ses propres territoires, à la géographie paradoxale. Les territoires de Twitter correspondent à des sortes d’archipels, plus ou moins bien reliés, qui circonscrivent des lieux parfois très éloignés les uns des autres, mais rassemblés par intérêt ou par une logique d’information à la fois lâche et très resserrée. C’est plutôt la chronologie de Twitter qui est repérable, et se déploie donc dans une sorte d’espace-temps à la frontière du monde réel et du monde virtuel.
Le traitement de l’actualité et son analyse renvoient à une géographie du pouvoir et de l’influence très significative. Une sorte de hiérarchie implicite des utilisateurs de Twitter se dessine, peu à peu, reliée à un rythme de publication plus ou moins fort. On y retrouve pêle-mêle Donald Trump ou le pape François, Vladimir Poutine et Emmanuel Macron… Cela forme une sorte de décalque du monde politique et médiatique, jusqu’à un certain point. Cette qualité de rapidité se retourne parfois contre ceux-là même qui tweetent, on l’a vu à plusieurs reprises avec des commentaires trop vite envoyés.
Vancouver : les points bleus représentent les tweets et les points orange les photos téléchargées sur Flickr. (Eric Fisher, CC BY)
Archipels. Cela laisse apparaître des graphiques en réseau très entrelacés. Ce sont plus des cartes mentales, ou des cartes «en réseau» que des cartes au sens classique du terme. Manuel Lima a notamment tenté de cartographier ces espaces dévoués à l'information.
Dans le même mouvement, Twitter crée aussi des archipels de partage et de diffusion de l’information très importants, et très vifs. Certains cartographes ont tenté de visualiser ces tweets, et en particulier les tweets des touristes. Ils dessinent des cartes redondantes avec celle des lieux les plus fréquentés. On voit apparaître les «hauts lieux» du tourisme de masse et les représentations des tweets dans les grandes villes forment une sorte d’image des villes «vues la nuit», avec une poussière de tweets qui apparaissent comme autant de flash photos.
Autrement dit, les tweets dessinent des cartes à la fois familières mais décalées de lieux déjà connus. Ils reproduisent les espaces superlatifs du tourisme. Ils nous apprennent, en creux, les logiques de déplacement des touristes, leurs habitudes et les normes qui les font fréquenter tel ou tel endroit. D’une certaine façon, ils confirment ou infirment les connaissances que l’on peut se faire des comportements des voyageurs actuels. Mais ce ne sont pas nécessairement des comportements originaux. En tout cas, Twitter peut servir de «traceur» pour suivre les logiques spatiales contemporaines, les lieux préférés ou délaissés, les lieux d’où l’on tweete et les autres.
Fake news. Twitter a également servi et sert encore de caisse de résonance à des intox de grande envergure, comme on l'a vu pendant les dernières campagnes électorales en France et aux Etats-Unis. En ce cas, c'est le traçage des hoax et des fake news qui devient un enjeu à la fois géographique, cartographique et de réseau pur d'échange et de diffusion de l'information. Le Belge Nicolas Vanderbiest s'est rendu célèbre pour son travail de traçage. Dans ce cas, Twitter devient un terrain d'investigation extraordinaire pour qui souhaite aller à la recherche des «sources» ou plutôt des origines de certaines fausses nouvelles. Un jeu du chat et de la souris entre ceux qui diffusent et ceux qui cherchent à neutraliser la diffusion, ou au moins à identifier le point de départ de la fausse nouvelle, ce qui fait de Twitter une sorte de plateforme géostratégique. Et surtout, cela dessine une géographie de la désinformation qui peut aller vers la Russie, mais vers beaucoup d'autres pays, en fonction de cette vague informationnelle qui apparaît souvent comme indomptable. Twitter a donc encore son mot à dire, ou à tracer.