Tous les utilisateurs de Twitter ont déjà connu ce dilemme : comment raccourcir notre message pour qu'il ne fasse que 140 caractères sans en altérer le sens ? Au fil des années, notre usage s'est adapté à la contrainte : enlever les voyelles («donc» devient «dc»), la ponctuation («j'ai» devient «jai»), et abréger les mots («maintenant» devient «mtn»). Bientôt, les utilisateurs n'auront plus à se creuser la tête : l'un des fondateurs de Twitter l'annonçait mardi sur son profil, le réseau social s'apprête à doubler le nombre de caractères possibles d'un tweet, de 140 à 280. On imagine bien qu'ils ont planché en coulisse avant de prendre cette décision, réalisé tout un tas d'études et observé les comportements de leurs utilisateurs. Ils s'en justifient d'ailleurs dans un post de blog, courbes et chiffres à l'appui : augmenter le nombre de caractères donne plus de place pour exprimer ses émotions.
We expected (and ❤️!) all the snark & critique for #280characters. Comes with the job. What matters now is we clearly show why this change is important, and prove to you all it’s better. Give us some time to learn and confirm (or challenge!) our ideas. https://t.co/qJrzzIluMw
— jack (@jack) September 27, 2017
Avec le temps, l'usage initial, prônant la spontanéité, la réactivité et la concision s'est dilué au milieu des threads interminables (ces tweets qui commencent par «je fais ce petit thread pour vous raconter quelque chose» et se répondent les uns aux autres) et des tweet-clashs. Twitter est un endroit où l'on donne son avis, où il devient important de penser, de se montrer aussi (beaucoup de journalistes pensent par exemple qu'avoir un compte est devenu aujourd'hui une condition sine qua non à une embauche). De ce fait, le réseau social est devenu un entre-soi. On trouve des journalistes, des artistes, des militants politiques, des administrations publiques : ceux qui pensent et qui, parfois, se regardent penser. Et Donald Trump, certes. Ces utilisateurs parlent entre eux, commentent, s'émeuvent parfois, se disputent souvent.
En faisant le choix des 280 caractères, Twitter a décidé de laisser davantage de place à ces utilisateurs-là. Le choix de la qualité (le nombre de retweets et de like d’un seul message, l’adhésion donc), plutôt que celui de la quantité. Et il le prouve bien en réservant ce mercredi l’usage de cette nouvelle fonctionnalité en avant-première à quelques privilégiés : des comptes très suivis qui peuvent avoir des choses à dire dans la longueur (y compris ceux qui ont trouvé la parade en installant un script). Par ce choix, Twitter scelle la hiérarchie des opinions sur sa plateforme. Les pertinents y ont plus d’importance que ceux qui parlent pour ne rien dire. En donnant la priorité à ces utilisateurs, Twitter renforce l’effet bulle de filtre : l’idée que ce sont les personnes d’un même cercle seulement qui se côtoient sur un réseau social.
Pourtant, ce sont précisément les autres, ceux qui tweetent pour ne rien dire, qui contribuent encore à préserver l’intérêt du réseau social. Souvent jeunes, peu suivis, ils discutent entre eux, commentent un match de football, une émission de télévision, ou trollent parfois. Le temps d’une soirée, ils rendent aussi le hashtag #SecretStory plus populaire que celui d’une conférence de presse du gouvernement. Quand il y a une catastrophe naturelle ou un attentat, ce sont les premiers à alerter aussi. Et ils offrent une diversité précieuse dans ce qu’est Internet aujourd’hui : l’idée que, ce qui préoccupe ou intéresse un journaliste, un homme politique ou un militant, ne vaut pas forcément pour les autres.