Nos centrales nucléaires sont-elles assez protégées contre une attaque terroriste ? Dans un rapport remis mardi aux plus hautes autorités françaises, l'organisation Greenpeace France veut briser ce qu'elle considère comme «une omerta sur les risques qui planent» sur les piscines de refroidissement des 58 réacteurs d'EDF et ceux de l'usine de retraitement de déchets de La Hague. Et son constat est «sans appel» : ces 62 piscines, où refroidissent les barres de combustible usé hautement radioactives après leur déchargement des cœurs nucléaires, «sont très mal protégées» : «Une attaque sur leurs bâtiments pourrait provoquer une catastrophe nucléaire majeure, [avec un] relâchement très important de gaz et de particules radioactives dans un périmètre» pouvant aller jusqu'à 200 kilomètres autour du site visé. Et, évidemment, des conséquences «graves» pour les populations dans cette dead zone…
Ce n'est pas la première fois que la sécurité des sites nucléaires français inquiète, au-delà du risque accidentel. Fin mars, Libération avait pointé, avec Yves Marignac de l'agence Wise, «le potentiel de danger sans équivalent» de l'usine Areva de La Hague, où 10 000 tonnes de combustible usé refroidissent avant vitrification. Ce spécialiste rappelait qu'une attaque d'avion kamikaze du type 11 Septembre sur La Hague provoquerait un relâchement de césium 137 équivalent à au moins six fois la catastrophe de Tchernobyl… Un cauchemar radioactif qui a incité Greenpeace à élargir l'étude des risques terroristes aux piscines des centrales EDF.
«Crash». Commandé à sept experts scientifiques internationaux, dont Marignac, ce rapport a nécessité dix-huit mois de travaux. Mais seule une version expurgée a été rendue publique : l'ONG n'a pas voulu fournir aux terroristes potentiels un guide clés en main «révélant d'éventuelles failles du système». La version intégrale a été remise par Greenpeace aux autorités : «Les piscines d'entreposage du combustible usé sont extrêmement fragiles face aux actes de malveillance. Si le bâtiment réacteur est, lui, protégé par une enceinte de confinement renforcée, les piscines, elles, ne sont pas protégées. […] Il s'agit pourtant des bâtiments qui contiennent le plus de radioactivité.» Selon l'ONG, les murs en béton font moins d'un mètre d'épaisseur et le toit des bâtiments est composé de simples bardages métalliques… Or, si l'enceinte du bâtiment abritant une piscine de refroidissement est endommagée et que la piscine se vide de ses sept mètres d'eau, la température va s'élever et le combustible en fusion s'échapper de sa gaine, relâchant la radioactivité dans la nature. Précisément ce qui s'est passé à Fukushima. Les experts de Greenpeace redoutent une catastrophe dans un bassin de population abritant des millions de personnes : les centrales de Bugey (Ain), Cattenom (Moselle), Fessenheim (Haut-Rhin), Gravelines (Nord) et l'usine de La Hague (Manche) inquiètent particulièrement.
Comment des terroristes pourraient-ils atteindre une piscine de refroidissement ? Les mêmes experts ont travaillé sur quatre scénarios : le crash d'un avion de ligne, une attaque par hélicoptère transportant des explosifs, un tir de roquette antichar et un sabotage à la suite d'une intrusion… «Le plus inquiétant serait évidemment le crash d'un avion de ligne rempli de kérosène, utilisé comme une arme de destruction massive, pointe la physicienne Oda Becker, qui fait partie du groupe d'experts. Les autorités allemandes estiment que la piscine de refroidissement d'un réacteur serait une cible assez facile et particulièrement vulnérable.»
EDF assure au contraire que ses installations «ont été conçues pour résister à la chute d'un avion», bunkérisées. «La sûreté est assurée sous tous ses aspects, en liaison étroite avec les autorités. Le risque d'une attaque type 11 Septembre a été pris en compte», martèle le directeur du parc nucléaire d'EDF, Philippe Sasseigne. Mais pour Yannick Rousselet de Greenpeace, «tout le monde sait que les piscines de refroidissement sont en carton et que leurs bâtiments sont des hangars agricoles».
«Drones». De fait, aucun des ouvrages conçus dans les années 70-80 n'a été construit pour résister à un avion. Seul Flamanville intègre une structure «post-11 Septembre». «Ce problème de fragilité des piscines […] face aux risques d'attaques extérieures ne peut être ignoré par EDF», interpelle l'ONG, qui exige des travaux urgents. «En cas de catastrophe, il faudrait déplacer des millions de personnes dans un temps record, une demi-heure à une heure, pour les mettre à l'abri des retombées radioactives, avertit l'un des experts, David Boiley. Tout le monde sait que c'est impossible.»
EDF va investir 700 millions d’euros dans la sécurité de ses centrales d’ici à 2023. Mais l’ONG chiffre entre 1 et 2 milliards d’euros le coût des travaux par piscine de réacteur. Multiplié par les 62 piscines concernées, on arrive à plus de 60 milliards d’euros minimum…
Pour Marignac, «l'affaire du survol par des drones de plusieurs centrales en 2014 a été un révélateur : la rencontre d'une industrie de l'ère pompidolienne avec la technologie légère et furtive d'un monde moderne devenu très dangereux». On attend la réaction des autorités, mais le silence radio est l'option la plus probable.