Le 1er septembre ont débarqué en Seine-et-Marne les vacanciers pionniers de Villages Nature Paris. Personne n'en a entendu parler, et c'est bizarre, car ce qui ouvrait là n'était pas banal : un énorme complexe touristique, «une destination européenne de vacances inédite aux portes de Paris», comme dit le dossier de presse. Elle aurait dû ouvrir à la veille du 15 août, timing idéal, et puis non. On comprend que les investisseurs aient choisi une ouverture discrète dès lors qu'ils lançaient un lieu de vacances au moment où elles s'achèvent.
Un mois et demi plus tard, voici, enfin, l'inauguration par Euro Disney SAS et Pierre & Vacances - Center Parcs du rejeton issu de leur union. A 32 kilomètres de la capitale et à 6 kilomètres à l'est de Disneyland Paris ont poussé 868 «appartements et cottages» bâtis sur 120 hectares autour d'un lac artificiel et, surtout, clou du spectacle, d'un «Aqualagon» de 9 000 m2 (sept piscines olympiques), nourri par l'eau chaude de la nappe du Dogger, captée par géothermie : 30°C garantis toute l'année, même dans le bassin extérieur.
Côté Disney, c'est l'investissement le plus important depuis les parcs d'attractions tout proches, et sans doute un moyen de soutenir leur fréquentation, parfois un peu à la peine. Pour Pierre & Vacances, c'est une «vision stratégique du tourisme de demain». Pour la région Ile-de-France, c'est un cadeau qui ne lui coûte rien. Et pour l'Etat, une pièce maîtresse dans la conquête en 2020 de 100 millions de visiteurs.
«Architecture plantée»
Du coup, en ce jour d'inauguration, les discours se succèdent à la tribune dressée dans l'Aqualagon, avec un public massé de l'autre côté de l'eau, ce qui inspire un trait d'esprit à Valérie Pécresse, présidente de la région : «C'est la première fois que je parle à une piscine…» Les investisseurs, eux, sont là pour marteler qu'ils ont construit une «destination pour un tourisme durable». Le fondateur de Pierre & Vacances, Gérard Brémond, 80 ans : «Nous n'avons pas une approche de l'écologie culpabilisante et punitive, mais ludique et joyeuse.» La présidente d'Euro Disney SAS, Catherine Powell, 50 ans : «Nous espérons que la beauté du site incitera le plus grand nombre à se reconnecter à la nature.» Vaste programme.
Le site attend un million de visiteurs par an. Qu'est-ce qui peut assurer son succès ? «Sa localisation avant tout, répond la directrice de la communication de Pierre & Vacances, Valérie Lauthier. Nous sommes aux portes de Paris et à côté de Disney.» La clientèle attendue devrait se répartir pour moitié entre Français et étrangers, avec une solide représentation des Allemands, des Néerlandais et des Belges. L'objectif, dit-elle, «est de créer une destination à part entière axée sur l'harmonie entre l'homme et la nature».
Certes, cette harmonie commencera souvent par un accès en voiture, comme en témoignent les hectares de parkings répartis en périphérie. Passé cette note carbonée, l'endroit est supposé faire un sans-faute sur le plan environnemental. Les eaux de l'aquifère du Dogger, qui mijotent à 80°C à plus d'un kilomètre de profondeur, offrent gratuitement l'eau de l'Aqualagon et le chauffage des bâtiments. Là où «il n'y avait que des champs de maïs», comme dit le paysagiste Thierry Huau, les terres d'excavation sorties du creusement du lac ont toutes été utilisées sur place pour créer des talus, des buttes et des reliefs. Pas un camion pour les convoyer ailleurs. Mais surtout, insiste le paysagiste, «vous ne verrez pas d'architecture car ce sera une architecture plantée. Ce sont les formes bâties qui se glissent au service du végétal». Il promet que «c'est avant tout un grand paysage qui sortira dans quelques années».
Sept toboggans
Acceptons-en l'augure. Pour le moment, il est encore partagé entre des voiries qui auront bien besoin de grands arbres pour paraître moins larges et des amoncellements de rochers appelés à devenir «une grande rocaille» grâce aux plantes qui les coloniseront. L'architecture des bâtiments, due à Jean de Gastines, conçue à forte dose de bois, de murs végétaux et de balcons, n'est pas désagréable. Mais l'Aqualagon, surmonté par une immense verrière qui semble avoir été pensée dans un pays du Golfe, écrase tout le reste tant elle est hors d'échelle. Toutefois, quand on veut caser sept toboggans dans un équipement de ce genre, il faut de la hauteur sous plafond. Pour cette inauguration, Euro Disney a fait venir sa vedette : Joe Rohde, 62 ans, senior vice-président de Walt Disney Imagineering, qui a assuré la codirection artistique du site. A chaque fois qu'il termine un projet, Rohde accroche une bricole supplémentaire à la boucle de son oreille gauche, déjà cinq centimètres plus longue que la droite. De Villages Nature, il dit que «c'est une métaphore de jardin». Lui qui a créé des parcs partout dans le monde affirme que «l'esthétique d'un parc à thème est très précise. Ce n'est pas le cas ici parce que c'est un paysage vivant».Tout cela, conclut-il, «est un commencement». Sur le plan financier en revanche, le modèle est finalisé. Côté dépenses, l'investissement se monte à 500 millions d'euros pour les premiers équipements (dont l'Aqualagon), les 868 appartements et cottages déjà là et les 241 à venir.
L'objectif de la première phase est de 1 730 hébergements et 70 000 m2 d'équipements, pour une facture de 700 millions d'euros. Le tout sur fonds privés. La puissance publique, l'Etat, a déboursé 32 millions pour préparer le terrain, qu'il a récupérés en vendant le foncier aux deux associés de Villages Nature. Aménageur de la zone depuis trente ans, main dans la main avec Euro Disney SAS, l'établissement public EpaFrance complète ainsi un développement qui a démarré avec Disneyland Paris et avait alors réclamé, de la part de l'Etat, un prolongement RER, une gare TGV et un paquet d'accès routiers. Pour ce dernier équipement, une sortie d'autoroute en plus aura suffi. En ces temps où «l'argent public est rare mais les liquidités sont abondantes», comme dit Emmanuel Macron, voilà un investissement privé qui tombe à pic.
Côté recettes, dans Villages Nature, tout est à vendre. De gros investisseurs institutionnels ont acquis la propriété des équipements de loisirs, dont l'Aqualagon. Pour les appartements et cottages, ce sont les particuliers qui achètent et pas seulement pour aller se baigner à trente kilomètres de Paris. Villages Nature est un investissement qui ouvre droit à une défiscalisation, dès lors que l'acquéreur devient «loueur en meublé non professionnel». Il signe un bail de neuf à onze ans avec Pierre & Vacances. A charge pour la société de trouver des locataires, d'entretenir les lieux et de servir à l'acquéreur une rente de 4 % environ. Un peu moins si ce dernier réserve des semaines pour son propre usage, et encore moins si elles sont en plein dans les vacances scolaires.
«Cocon VIP»
Vieux routier de la formule qu'il a en grande partie inventée, Gérard Brémond, fondateur de Pierre & Vacances, sait qu'elle est souvent assimilée dans les têtes au funeste «time-sharing» qui s'est soldé par la ruine d'un bon nombre d'acquéreurs. Mais dans ce time-sharing, ce que partageaient les acheteurs, c'était la propriété du deux-pièces à la montagne ou à la mer. La revente des parts de l'un des participants relevait du sport de combat. Pas de ça ici : seul propriétaire du bien, l'acheteur n'aurait comme seul souci que le renouvellement de son bail. Sauf si Bercy décidait un jour de revoir la principale facilité fiscale accordée à ces résidences de tourisme : l'exonération des 20 % de TVA à l'achat. Ce dispositif, appelé Censi-Bouvard, du nom des deux parlementaires qui l'ont imaginé, arrivait à terme en 2016. «Brémond s'est agité comme un fou pour qu'il soit pérennisé», raconte un haut fonctionnaire.
Combien ça coûte de placer ses économies dans Villages Nature Paris ? En «cottage country premium», 360 000 euros pour un quatre-pièces de 70 m2. En «cocon VIP», 389 000 euros pour un trois-pièces de 64 m2. Meublés et équipés jusqu'au set de table. Et juste pour s'y baigner, 50 euros l'entrée pour les adultes, 30 pour les enfants. Le tourisme du XXIe siècle.