«On devrait construire les villes à la campagne car l'air y est plus pur !» notait avec dérision Alphonse Allais à la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui, on peut retourner la citation : il est urgent de réintroduire un peu de campagne dans les villes… Entre les problèmes liés à la pollution, le réchauffement, la circulation ou le cadre de vie, «les citoyens commencent à prendre conscience que la nature en ville n'a pas seulement des vertus esthétiques. Elle procure aussi des bénéfices en terme de santé publique», explique Marc Barra, écologue à Natureparif, l'Agence régionale pour la nature et la biodiversité (lire page suivante). Un constat qui amène, au niveau local, urbanistes, constructeurs et citadins à repenser leur rapport à la ville. L'IUCN (l'Union internationale pour la conservation de la nature) a ainsi identifié plusieurs dossiers prioritaires. Evaluation des risques d'inondation, réduction des îlots de chaleur et amélioration de la qualité de l'air, de l'eau ou des sols ; meilleure gestion des eaux de pluie et des espaces verts ; réflexion sur l'approvisionnement et l'agriculture urbaine ; et enfin développement des services culturels (loisirs, tourisme…). Un inventaire et autant de défis pour les années à venir.
La France perd en moyenne 82 000 hectares de terres agricoles chaque année, soit plus de 220 hectares par jour… Comment dès lors préserver la biodiversité en milieu urbain ? «On peut agir à différentes échelles, explique Christophe Aubel, directeur de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), établissement public créé en janvier pour centraliser et gérer les problématiques de biodiversité terrestre, aquatique et marine. Au niveau de l'aménagement des villes, les documents d'urbanisme comme le plan d'urbanisme local (PLU) ou le schéma de cohérence territoriale (Scot) sont un moyen de limiter l'étalement urbain. Ils doivent prendre en compte et rendre fonctionnelles les trames vertes et bleues, ces corridors écologiques en ville.»
L’écureuil, espèce modèle
Ainsi, en 2016, lors de la révision de son plan d'urbanisme local, la petite commune de Bouc-Bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, a fait passer des zones potentiellement constructibles en zones naturelles ou agricoles. Strasbourg, de son côté, a cartographié un maillage plus fin que celui de la trame verte : le «tissu naturel urbain». «Nous l'avons fondé sur le cheminement d'une espèce modèle, l'écureuil roux, retenu pour ses déplacements fréquents. Nous connaissons ainsi les moindres interstices végétaux, pour mieux les préserver», explique Christel Kohler, adjointe au maire. Dans cet esprit, les habitants sont invités à végétaliser l'espace public. Avec le programme Strasbourg ça pousse, on peut choisir un pied d'arbre à verdir ou faire une demande de jardins familiaux… et prendre son mal en patience : 1 700 personnes sont sur la liste d'attente.
Des herbes folles
Favoriser la biodiversité à l’échelle des quartiers passe également par la gestion des espaces verts, de l’eau et l’agriculture urbaine. Ainsi, depuis janvier, le programme Zéro phyto qui interdit l’utilisation de pesticides dans les parcs et espaces verts accessibles au public, vise à préserver la santé des agents municipaux et des citoyens et à redonner une place aux espèces sauvages qui attirent des insectes pollinisateurs. Une mesure appliquée depuis longtemps par certaines communes comme Strasbourg, Rennes ou Lyon et qui a favorisé la présence d’herbes folles dans les parcs ou sur les trottoirs des villes.
Cette loi sera étendue aux jardins des particuliers à partir de 2019. Une tendance qui trouve son public : «Jardiner en ville, c'est une évasion. C'est une manière de se reconnecter à l'eau, l'air, l'alimentation, aux autres… Bref à ce qui nous fait vivre»,souligneLydie Tamarelle, présidente de l'association J'aime le vert à Alfortville (Val-de-Marne), qui insiste sur le lien créé par ces activités dans l'espace public. «La végétalisation a transformé l'ambiance de notre rue, note Stéphanie Mousserin, habitante du quartier Noailles à Marseille. C'était une rue difficile à vivre, glauque, qui est devenue attachante.» «Devant un pot de fleurs, les habitants qui se disaient à peine bonjour se sont mis à échanger. Cela commence par le nom d'une plante et l'on finit par évoquer sa vie», renchérit Dominique Jouan, habitante du quartier du Panier à Marseille.
Au-delà de la réglementation, l'argument économique peut aussi aider à valoriser la biodiversité. «Je martèle le fait qu'il existe des solutions fondées sur la nature pour l'aménagement urbain et qu'elles ont un coût attractif»,explique Marc Barra.Un exemple ? «Avec l'imperméabilisation croissante des sols, les villes subissent de fortes inondations lors des épisodes de pluie. Or, dans la nature, la végétation et le sol jouent un rôle d'éponge : il faut créer des quartiers avec une imperméabilisation "naturelle".» Et de citer Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, où un espace vert de 5 hectares a été conçu en 2008 pour recevoir les eaux pluviales de la ZAC des Guillaumes et offrir des usages récréatifs.
«Atlas» de la biodiversité
Emmanuel Delannoy, directeur de l'institut Inspire, un think tank qui travaille sur la transition écologique, abonde dans ce sens. «L'agriculture urbaine recouvre des microsurfaces qui permettent une production agricole non négligeable ainsi que le traitement de déchets urbains. Ces jardins contribuent aussi au verdissement des villes, au traitement des eaux pluviales et au renforcement du lien social.» La transformation de ces espaces requiert toutefois une expertise pour identifier les sols éventuellement pollués et sélectionner des espèces de plantes non invasives, qui contribuent à la pollinisation et à l'amélioration de la qualité de l'air.
Façades poreuses pour favoriser la présence d’insectes et donc la pollinisation, nichoirs dans la structure des charpentes pour les oiseaux, toits végétalisés et plantes rampantes pour réguler la température de l’immeuble… A l’échelle du bâtiment, de nombreuses solutions existent pour soutenir la biodiversité. On peut penser un édifice comme un écosystème, depuis sa conception avec des matériaux locaux et écologiques (la paille ou le bois), jusqu’à son démantèlement en privilégiant des matières recyclables comme l’acier ou les granulats. Des poids lourds de la construction commencent ainsi à se pencher sur la question, comme Vinci qui s’est associé aux trois écoles de ParisTech pour fonder une chaire sur l’écoconception, ou Bouygues Construction qui a participé à la création du label BiodiverCity et récompense la valorisation de la biodiversité d’un projet immobilier.
«Il faut que la question de la biodiversité en ville soit au niveau des enjeux climatiques et mobiliser l'ensemble de la société», insiste Christophe Aubel. Pour interpeller les citoyens, l'AFB diffusera en novembre une campagne de sensibilisation qui durera trois ans. Partant du principe que l'on protège ce que l'on connaît, l'agence a aussi relancé le programme des «atlas de la biodiversité communale» pour aider les communes à inventorier et à localiser la biodiversité sur leur territoire. Objectif ? Financer 500 atlas sur les trois années à venir. Deux cent cinquante communes se sont déjà inscrites. «Le défi pour les villes dépasse cependant la présence de la nature, rappelle le patron de l'AFB. Se posent aussi les questions de gestion des déchets, de cantine bio, de circuits courts… Il s'agit surtout d'ouvrir une réflexion plus large sur l'empreinte écologique des villes.» Des sujets à aborder lors de la prochaine campagne pour les élections municipales de 2020.