La maison californienne de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, est pilotée par une IA (intelligence artificielle) nommée Jarvis, clin d'œil à la saga Iron Man. Jarvis (qui a la voix de Morgan Freeman) sait si la personne qui sonne à la porte est habilitée à entrer grâce à un logiciel de reconnaissance faciale. Elle peut aussi ouvrir les rideaux, gérer la température ambiante, préparer les toasts ou jouer la musique préférée du maître des lieux… Ce type d'équipement n'étonne guère chez un milliardaire féru de high-tech. Mais la smart home de demain n'existe pas qu'en Californie. Ainsi cet immeuble d'habitation que rien ne différencie des autres dans une rue résidentielle d'Issy-les-Moulineaux, au sud de Paris. En réalité, ce programme neuf livré par BNP Paribas Immobilier constitue une première mondiale : tous les appartements de la résidence sont connectés. Les équipements (luminaires, chauffage, télévision, réfrigérateur, porte d'entrée, volets, etc.) peuvent être contrôlés sur place. Par la voix ou à distance via l'application «Maison» d'Apple. Une technologie installée par le promoteur avec les sociétés Legrand, spécialiste des infrastructures électriques du bâtiment, et Netatmo, start-up française fabriquant des objets connectés (thermostat, caméras, station météo).
Elfe de maison
«Nous voulons proposer aux occupants un système agnostique, capable de dialoguer avec l'ensemble des écosystèmes [Apple et, dans les mois à venir, Amazon, Google ou Samsung]», explique Kevin Cardona, directeur de l'innovation chez BNP Paribas Immobilier. Les interrupteurs intelligents, qu'on peut déplacer d'une pièce à l'autre, sont eux pilotés par la solution Céliane with Netatmo. Cette smart home peut aussi communiquer. «Je contrôle la maison par la voix, mais la maison me parle aussi via mon smartphone. Exemple : la porte du réfrigérateur est restée ouverte trop longtemps et l'appareil s'est arrêté. La prise connectée m'envoie alors une notification», illustre Kevin Cardona. Le système est compatible avec le hub numérique de la Poste, une application mobile qui facilite l'accès aux informations des objets connectés, rassemblées dans un tableau de bord. Il assure une sécurisation des données personnelles via une architecture «privacy by design» (1). Ce hub numérique est matérialisé dans l'immeuble d'Issy par un bouton jaune installé dans l'entrée de chaque appartement. «Mon enfant rentre de l'école et va appuyer sur ce bouton qui va m'envoyer un texto me signifiant qu'il est bien rentré», décrit le directeur de l'innovation.
L'immeuble d'Issy-les-Moulineaux illustre le potentiel de la maison dite «intelligente». Netatmo prévoit que d'ici dix ans la moitié des logements seront équipés d'objets connectés. «Dans le passé, on a fait des systèmes domotiques qui, avec les technologies de l'époque, étaient un peu compliqués à installer. Grâce aux techniques actuelles, faciles d'accès et qui s'installent de la même façon qu'un produit traditionnel, on peut prédire un marché de masse pour la maison connectée», espère Patrice Soudan, directeur général adjoint de Legrand.
Pour le directeur de la recherche d'Orange, Nicolas Demassieux, «on va vers des plateformes qui dépasseront le côté purement fonctionnel de la domotique, pilotée avec une télécommande ou un assistant vocal, comme Alexa d'Amazon, Google Home ou Djingo [qu'Orange va lancer en 2018, ndlr]. Ces assistants vocaux constituent la première génération. Pour l'instant, ils savent seulement interroger Internet. La deuxième génération va leur permettre de piloter les objets connectés. La troisième, sur laquelle nos chercheurs travaillent, sera un véritable assistant domestique, un peu comme Dobby, l'elfe de maison de Harry Potter… Il saura qui est présent dans la maison, dans quelle pièce et ce que font les occupants : préparer un repas, prendre une douche ou regarder la télévision.» «On peut aussi imaginer, poursuit Nicolas Demassieux, qu'il devienne plus proactif : quand un enfant rentre de l'école, l'assistant pourra lui rappeler qu'il doit faire ses devoirs. Mais pour remplir cette promesse, il va falloir introduire des technologies d'intelligence artificielle.»
Reconnaissance faciale
Tout beau, tout nouveau… On peut néanmoins s'interroger sur l'utilité réelle de ces dispositifs : simples gadgets numériques ou nouveaux usages bientôt indispensables ? Selon une étude de Netatmo, menée entre octobre 2015 et septembre 2016, son thermostat connecté permettrait aux résidants d'économiser 300 euros en moyenne sur leur facture de chauffage. «Il va utiliser les prévisions météo pour savoir quand chauffer, s'appuyer sur des ressources de calcul dans le cloud afin d'optimiser la consommation d'énergie ou couper le chauffage quand vous êtes en vacances. Ce qui permet d'avoir une empreinte carbone plus faible en consommant moins d'energie", affirme Fred Potter, cofondateur de Netatmo. Autre bénéfice avancé par les concepteurs d'objets connectés : la sécurité. Les caméras à reconnaissance faciale promettent d'envoyer des notifications si un inconnu se présente chez vous, les caméras extérieures infrarouges pourront détecter une présence dans le jardin la nuit. Il existe aussi des détecteurs de fumée connectés.
Une autre société, Somfy, leader mondial des automatismes pour la maison, propose Home Alarm, un système de sécurité qui prévient l'occupant à distance. Si celui-ci est en vacances, il peut déclencher l'envoi d'un agent de sécurité ou alerter un service de télésurveillance. L'industriel propose des serrures connectées, à la manière de celles équipant les voitures récentes. «La serrure se déverrouille toute seule quand j'approche et éteint l'alarme. Si je suis absent, je délègue à quelqu'un la possibilité d'entrer. Ma femme de ménage vient le mardi, je lui envoie une autorisation d'entrée sur son smartphone le mardi de 10 heures à 12h30», détaille Marc Westermann, directeur de l'activité solutions connectées de Somfy. Une option qui peut être appliquée en cas de location sur Airbnb ou Abritel.
Sécurité renforcée et repli sur soi à l'heure où les réseaux sont censés nous ouvrir sur le monde… Le paradoxe a été repéré par le sociologue Guy Tapie, qui remarque que «le logement devient une base de repli, une barrière protectrice contre l'extérieur dans une société perçue comme dangereuse. […] Alors que nos objets sont connectés, qu'ils établissent ou réactivent des liens, leur usage amène à s'isoler, favorisant une individualisation de l'appropriation des espaces du logement. On est en même temps relié au monde et l'on dresse des barrières entre soi et la société» (2).
Qui dit connexion à Internet dit risques de piratage. La vogue pour les enceintes connectées montre que le public plébiscite ce nouveau mode de pilotage du logement via un majordome numérique. Amazon Echo, lancé en juin 2015 aux Etats-Unis, est déjà présent dans plus de 11 millions de foyers et devrait arriver en France en 2018. Google Home, lui, est disponible chez nous en trois versions. Les fournisseurs d'équipements jurent que leurs serveurs sont ultrasécurisés, mais on sait que le risque zéro n'existe pas en matière de cybersécurité (lire ci-contre). «Les niveaux de sécurisation du cloud, des réseaux ou des smartphones sont les mêmes pour la smart home que pour d'autres applications. En revanche, l'élément nouveau, c'est la sécurisation des objets connectés eux-mêmes. Si vous achetez une caméra sur Internet sans connaître le fournisseur, qui vous dit qu'elle n'est pas équipée d'un cheval de Troie [un virus caché, ndlr]qui va permettre de vous observer à votre insu et savoir quand vous êtes absent pour venir vous cambrioler?» avertit Nicolas Demassieux. Pour Fred Potter, «il faut faire de la "security by design", c'est-à-dire intégrer la sécurité dès la phase de conception des objets et… ne pas stocker les clés de décryptage au même endroit». Même si, en la matière, les bonnes vieilles techniques ne se démodent pas : il sera toujours plus facile de s'introduire dans une maison avec un pied-de-biche que de hacker une serrure connectée.
(1) «La protection de la vie privée dès la conception» (privacy by design) garantit le plus haut niveau possible de protection des données personnelles.
(2) Supplément «Maison connectée»: Libération du 26 mai 2015.
Photo Emmanuel Pierrot