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Critique

Réalité virtuelle : à Saint-Denis, l’avatar est au bout du couloir

L'expérience «Mutations» a pris ses quartiers dans 1 400 mètres carrés jusqu'à ce dimanche 5 novembre. Au programme, une aventure inédite alliant théâtre immersif, escape game et VR. Jouissif mais perfectible.
Dans «Mutations», on découvre les ravages du burn-out. (Photo DestiSarah)
par Thierry Thirault et Camélia Paugam
publié le 3 novembre 2017 à 13h23

Arrière, créature ! Un mutant blafard s'approche en glapissant. Puis un autre. Grande est la tentation de leur balancer un coup de pied et offrir un peu de répit à notre petit commando. Ce ne serait pas du luxe car il nous faut explorer au mieux une énième pièce sombre jonchée de meubles déglingués et d'objets hétéroclites, au débouché d'un énième couloir… Ah mais tout de même, ce sont des acteurs hein, on ne va pas les frapper ! Des acteurs ? Vraiment ? Le doute nous envahit quand ils réussissent à nous faire détaler (et nous forcer à avancer plus vite). Bon Dieu, un seul flingue pour six personnes, efficace une fois sur quatre, c'est un peu juste, quand même. A se demander comment on a réussi à survivre depuis une heure. Enfin, nous sortons de ce dédale, accueillis par un officier traitant qui nous félicite avant de nous renvoyer au casse-pipe, solidement armés cette fois. Et foin d'énigmes et de subtilités : c'est la tête dans le casque et fusil d'assaut en main que nous effectuons un retour aux fondamentaux FPS (jeu de tir à la première personne). Plus question de fuir, il faut canarder. En haut, derrière, devant, à droite, à gauche… Les monstres sont partout. Dix minutes de nettoyage plus tard, retour à la surface et à la réalité.

L'expérience «Mutations», organisée par First Personal Xperience, filiale de la société immobilière Quartus, a pris ses quartiers à Saint-Denis dans d'anciens bâtiments industriels jusqu'à dimanche. Alliant théâtre immersif, escape game et VR, elle nous embarque dans une aventure zombiesque originale dans sa conception et sa mise en œuvre. Beaucoup moins en revanche dans le scénario, vu et revu dans moult films, jeux etc. – on pense entre autres au jeu Far Cry ou au film 28 Jours plus tard, dans lequel un virus répandu par un singe énervé transforme ses victimes en cannibales plus ou moins vifs.

Mais là n'est pas le plus important. La nouveauté se trouve dans cet enchaînement entre l'exploration de pièces et de couloirs de type «escape room» avec ses énigmes, assaisonnée de la pression permanente d'acteurs-zombies, et une session de combat en réalité virtuelle (on n'a donc pas ici à faire à un escape game purement en VR, tel celui proposé dans plusieurs villes par Virtual Room).

Ainsi, chaque groupe de six joueurs maximum évolue dans 1 400 mètres carrés de décor d'hôpital-laboratoire-base militaire pour dénicher des données qui permettront de trouver un remède au mal apocalyptique. Pas si évident de garder son sang-froid lorsque les lumières grésillent et que des infectés vous pourchassent. Mais contrairement à un escape game, «le scoring n'est pas le plus important», rassure Cyril Villalonga, à l'origine du projet. Ce dernier explique que «Mutations» «est plus une invitation à découvrir un décor, à faire sa propre expérience». A cet égard, l'interaction avec les comédiens est la clé d'une immersion réussie. Ces derniers donnent les instructions ou les indices pour aller plus avant, comme ce garde blessé qu'on n'hésite pas trop à laisser agoniser ou ce scientifique terrorisé qui nous aidera à fuir. Mais les performances des acteurs sont inégales : les zombies font très bien leur job mais du côté des militaires qui nous cornaquent, on est loin du sergent Hartman de Full Metal Jacket.

Si «Mutations» est perfectible, les organisateurs le reconnaissent, l'expérience explore de nouveaux chemins. La progression et la quête dans ces vastes locaux aux décors délabrés de bon goût sont en effet bien pensées, avant une transition avec la session VR astucieuse : (attention, spoil) la plateforme vibrante réelle sur laquelle on se trouve devient un ascenseur dans le virtuel. Et à travers le casque, nos camarades de combat apparaissent ici sous forme de silhouettes aux contours colorés façon Tron.

Techniquement, l’expérience bénéficie d’un partenariat avec Intel. On note que l’entreprise américaine a réussi à faire cohabiter deux personnes équipées du casque HTC Vive dans un même espace (les fameuses plateformes vibrantes, au nombre de trois), alors qu’il est conçu pour une seule. Le dispositif est rendu possible grâce à l’utilisation de sacs à dos contenant les ordinateurs reliés aux casques, au lieu des habituels câbles. Un paquetage qui, de surcroît, renforce l’esthétique «cybercombattant» de la séquence en réalité virtuelle. Au cours de cette dernière, la peur doit nous aider. Car à nos poignets, un bracelet conçu par la société Iconik est censé évaluer nos émotions. Plus on est tendu, plus la jauge de notre arme doit se remplir. L’efficacité de ce système, au départ prometteur en termes d’interaction réel-virtuel, ne nous a pas sauté aux yeux. Peut-être étions-nous déconcentrés par la rupture esthétique entre les décors et personnages IRL et les graphismes de la VR, avec des monstres à l’allure très différente. Moins effrayante, donc, l’épreuve reste très ludique. On tire dans le tas et on s’en donne à cœur joie.

De fait, même si l’expérience est réussie – on s’amuse beaucoup et le complexe à explorer est vaste – et en dépit de mille et une améliorations potentielles, l’exercice comporte, par essence, sa principale limite : un mélange insuffisant entre le réel et le virtuel. Un dispositif de réalité augmentée serait sans doute mieux adapté, avec des zombies virtuels aux côtés des acteurs, par exemple, histoire de bien perturber les sens et l’esprit… Il n’en reste pas moins que «Mutations» a ouvert des perspectives de sessions collectives de la VR (et pas seulement pour le jeu), loin de l’image d’une occupation solitaire renfermante. Des pistes sur lesquelles Cyril Villalonga compte bien capitaliser, lui qui rêve de faire muter «Mutations» en parc d’attractions.

Jusqu'au 5 novembre à Saint-Denis. Par la suite, l'installation éphémère, se déplacera dans d'autres villes, notamment à Lyon et à Marseille. Rens. : www.geekopolisxp.com