En corse ou en français ? La question ne se pose plus pour Jean-Guy Talamoni. En décembre 2015, alors que les nationalistes venaient d’arracher une victoire historique aux élections territoriales, le leader indépendantiste avait provoqué un tollé en prononçant un discours en «lingua corsa» (langue corse) dans l’hémicycle.
Deux ans plus tard, les patrons de la région ne choquent plus personne dans l'île en s'exprimant en version originale sous-titrée : la liste Pè a Corsica (Union des autonomistes et des indépendantistes) a remporté 56,5% des suffrages au second tour du scrutin de décembre, s'offrant la majorité absolue au passage. Et la défense de la langue corse fait partie de ses revendications historiques. Lorsque l'on demande au nouveau président de l'Assemblée régionale s'il compte s'exprimer une nouvelle fois en Corse, la réponse fuse donc, d'une implacable logique: «Iè, sicura. Semu in Corsica!» («bien sûr, nous sommes en Corse»).
Après vingt-quatre mois passés dans le fauteuil de président de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni a eu le temps de roder sa communication et de tirer le meilleur parti de sa charge, toute symbolique (l’autonomiste Gilles Simeoni a la main sur l’exécutif). Si son discours est prononcé en corse, des versions traduites en français, anglais et italien sont distribuées par le staff aux journalistes et aux invités. A Paris, avant même l’installation de la nouvelle institution, on grinçait des dents à l’idée qu’une autre langue que le français puisse être utilisée par les élus du peuple. De l’autre côté de la Méditerranée, il y a longtemps que plus personne ne s’en émeut. Et pour cause, les nationalistes corses ont gagné depuis plusieurs années la bataille des idées : l’amnistie des prisonniers, le statut de résident, l’inscription de la Corse dans la Constitution ont été votées par l’Assemblée de Corse avant 2015, sous une mandature de gauche.
«Pendant longtemps, parler corse a été un marqueur politique»
La question de l'usage de la langue corse, a été la première à «être réglée», selon les mots d'une jeune élue de la majorité. «Pendant longtemps, parler corse a été un marqueur politique : parler corse, ça voulait dire être nationaliste dans la tête de certains, explique un militant aguerri. A tel point que certains parents ont même refusé d'apprendre la langue à leurs enfants.» En 2013, changement de pied : une délibération prévoyant de donner un statut officiel au corse – à parité avec le français, est adoptée à la majorité par les conseillers territoriaux. S'ils mettent un point d'honneur à répondre à l'appel par un «So qui» (je suis là) plutôt que par un classique «Présent», les nationalistes sont d'ailleurs loin d'avoir le monopole de la corsophonie. «Les élus du rural, de droite et de gauche se sont de tout temps invectivés en corse dans l'hémicycle, sans que personne ne trouve rien à redire», témoigne un fonctionnaire territorial en citant «les fameuses blagues de Dominique Bucchini (ancien président – communiste – de l'Assemblée de Corse, ndlr)».
L'illustration du propos ne se fait pas attendre lorsque Pierre-Jean Luciani monte à la tribune. En tant que doyen des conseillers territoriaux, il appartient au représentant de la droite conservatrice de présider l'ouverture des débats. Farouchement opposé à l'entrée en vigueur de la Collectivité unique, l'élu ne peut être soupçonné de sympathie pour les nationalistes. C'est pourtant en corse qu'il décide de s'exprimer pour souhaiter «saluta, amicizia è bon viaghju» (santé, amitié et bon voyage) aux nouveaux présidents de la collectivité unique. Dans la foulée de ce propos, Jean-Guy Talamoni, a été élu président de l'Assemblée de Corse, et Gilles Simeoni placé à tête de l'exécutif. Sans suprise puisque les nationalistes détiennent 41 sièges sur 63 dans l'hémicycle.