En pleine crise morale aux Etats-Unis, où il est accusé de saper les fondements de la démocratie depuis qu’il est devenu le premier diffuseur de fausses informations, Facebook tente de redorer son blason en France en y flattant la qualité de sa recherche. A l’occasion du passage à Paris de sa directrice générale, Sheryl Sandberg, le très chahuté leader des réseaux sociaux a annoncé un investissement de 10 millions d’euros dans l’intelligence artificielle et le lancement dans l’Hexagone de deux programmes de mécénat visant à former au numérique 65 000 personnes d’ici la fin 2019. Des annonces peu significatives d’un point de vue financier mais dévoilées le jour où Emmanuel Macron organise, à Versailles, un sommet sur l’attractivité économique de la France, afin de bénéficier d’un retentissement maximal.
Sheryl Sandberg, qui va être ce lundi une des rares patronnes à s’entretenir en tête à tête avec le président français, ne devrait ainsi pas manquer de louer la qualité de la recherche fondamentale française en matière d’intelligence artificielle, symbolisé par la présence à la tête de son laboratoire Facebook AI Research (Fair) du français Yann Le Cun, une des sommités mondiales de cette discipline très en vogue.
«Champion international de l’IA»
Créée en 2015, l'antenne parisienne de Fair, qui compte aujourd'hui 30 chercheurs, va doubler de tailler dans les prochains mois et bénéficier d'un triplement de ses investissements… permettant de quadrupler le nombre de ses doctorants. De quoi affirmer la place centrale du laboratoire parisien aux côtés des trois autres antennes de Fair situées à New York, Menlo Park (le siège de Facebook dans la Silicon Valley) et depuis peu Montréal. Un investissement qui doit contribuer à booster l'écosystème en pleine formation de l'IA en France, au moment où le gouvernement, par l'entremise du nouveau député LREM et mathématicien Cédric Villani, entend s'affirmer comme la tête de pont européenne de ce secteur aujourd'hui largement trusté par les Américains et les Chinois. «En accélérant la recherche […], Facebook souhaite jouer un rôle moteur dans l'ambition française de devenir le champion international de l'IA», a souligné l'entreprise. Sheryl Sandberg va d'ailleurs inaugurer ce lundi soir, avec le patron de Free – à Station F, le plus grand incubateur de start-up au monde financé par Xavier Niel – une exposition interactive intitulée «Connexions» consacrée en autres à la réalité virtuelle, autre des axes forts de développement du réseau social.
Cet investissement de Facebook, qui n’est pas que monétaire, passera également par le don de «10 serveurs de dernière génération au profit d’instituts de recherche» (plus de 100 000 euros l’unité), un renforcement de son partenariat avec l’Institut national de recherche en informatique, auquel Microsoft s’est également associé pour l’IA, et la création d’un fonds «pour la collecte de données ouvertes», indispensable aux chercheurs pour mener à bien leurs expérimentations. Enfin, Facebook doit signer un partenariat avec plusieurs universités françaises pour financer des bourses d’études, d’excellence et des doctorats en mathématiques, physique, informatique ou encore ingénierie des systèmes complexes.
Excellence française
Cette offensive de charme vis-à-vis de la recherche française n'est pas une réponse aux critiques françaises et européennes à propos de l'attitude des Gafa, affirme-t-on chez Facebook, mais s'inscrit dans la continuité de programmes de recherche initiés il y a plusieurs années en France et qui ont porté leurs fruits. Il n'empêche que Facebook a également annoncé il y a quelques semaines un changement de ses pratiques fiscales en France, qui constituent sa principale pomme de discorde avec le gouvernement. Par la voix de son directeur financier, le réseau social s'est engagé début décembre à déclarer ses revenus partout où il dispose de filiales commerciales, et non plus seulement à son siège international irlandais. Et ce, à partir de la fin de l'année en Europe. Un changement de pied comptable qui ne sera pas forcément synonyme d'accroissement significatif de recettes fiscales pour la France mais qui est censé illustrer la volonté d'apaisement de la multinationale américaine dans ce domaine au moment où l'Europe s'est emparée de ce sujet.
Inclusion numérique
Le groupe américain cherche également à montrer qu’il n’investit pas que dans l’excellence et les hautes sphères de l’intelligence artificielle. Il va ainsi mettre en place, dans le cadre d’un partenariat avec Pôle Emploi, un programme pour former 50 000 personnes «éloignées de l’emploi» aux compétences numériques d’ici la fin 2019. Et former au numérique, dès cette année, 15 000 femmes, afin de les aider à créer leur entreprise. Une déclinaison à l’échelle française de sa stratégie inclusive «She Means Business», sa campagne en faveur de l’entrepreneuriat féminin, qui va s’appuyer en France sur la «start-up sociale» Social Builder.
Cette journée, baptisée «Choose France» par l’Elysée, arrive ainsi à point nommé pour Facebook : l’occasion de rappeler que tout n’est forcément négatif dans ses technologies et qu’au-delà de ses performances financières, la société entend toujours œuvrer à sa mission sociale de transformation de la société par le numérique.