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Libération
Portrait

Stéphane Travert, champs élyséens

Le ministre de l’Agriculture, ex-frondeur PS et porte-parole de la campagne Macron, est un discret propulsé dans le feu de l’actualité.
Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture, début décembre. ( Photo Martin Colombet. Hans Lucas)
publié le 1er février 2018 à 17h26

Quand on se pose devant son ordinateur pour décrypter l'heure d'entretien avec Stéphane Travert, le fichier ouvert dans iTunes indique «artiste inconnu». C'est tout bonnement faux. Pour ta gouverne, cher programme siliconé de la vallée californienne, l'intéressé est comédien à ses heures dans une troupe de La Haye-du-Puits, son village de la Manche. Une fois l'an, il monte sur les planches avec ses amis pour jouer une pièce souvent écrite et mise en scène par sa femme, prof de français dans l'enseignement public. Il y a quelques lunes, il a également fait une lecture publique de la Maison du peuple, incontournable de Louis Guilloux, dans un festival de théâtre à Lannemezan (Hautes-Pyrénées). «C'est l'histoire d'un compagnonnage entre deux personnes qui travaillent ensemble dans les moments de difficulté et de joie, ça me parle beaucoup.» L'écrivain briochin compte parmi ses préférés avec Jacques Prévert, lequel «avait une maison dans le Cotentin».

Depuis le 21 juin, le natif de Carentan (Manche), qui en compte 48, est (un peu plus) connu du grand public pour sa nomination comme ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation. La riche actualité (fipronil, néonicotinoïdes, états généraux de l'agriculture, glyphosate, aides au bio, affaire Lactalis, loi sur l'alimentation) de son périmètre a projeté le discret et, dixit l'intéressé, «taiseux», devant les micros, caméras et autres crayons. Après un BTS action commerciale, un Deug de droit et une école de commerce, cette armoire normande de 1,90 m qui chausse du 47, handballeur avant de se briser les genoux dans un accident de moto, a tout d'abord, de 1994 à 2006, travaillé comme cadre commercial dans une PME rennaise, puis dans un groupe industriel franco-belge. «La dimension de rencontre, de négociation et de persuasion m'a attiré dans ce métier.»

Quant à son engagement politique, il remonte à ses 18 ans, quand, en héritier des «convictions et des valeurs de gauche» de ses parents employés d'imprimerie, militants socialistes et syndicalistes FO, il adhère au PS «pour travailler dans un collectif, quand certains jouent au foot». Une première rencontre scelle sa vie professionnelle politique. Fin 2005, Philippe Duron, président socialiste de Basse-Normandie, lui propose de devenir son chef de cabinet à la région, puis à la ville de Caen. En 2012, porté par la vague rose, Stéphane Travert rejoint le Palais-Bourbon, en sus de son fauteuil de conseiller régional qu'il occupe (toujours). Quand Manuel Valls déboule à Matignon, il se range dans le camp des frondeurs, lui qui avait voté Benoît Hamon au premier tour du congrès PS de Reims en 2008, avant de s'abstenir au second. Le fan des Smiths, de New Order et des Chemicals Brothers - eh oui ! - fait la connaissance en 2014 du nouveau locataire de Bercy, en visite dans la Manche pour son premier déplacement. Ce jeune banquier d'affaires de profession bien rasé et bien peigné, quand Travert est plus ébouriffé, le séduit. «J'avais été heureux que Hollande soit élu avec un programme porté par la gauche, mais j'estimais que le PS arrivait au bout d'un cycle et ne correspondait plus aux aspirations de nos concitoyens.» Il lâche, délaissant comme rarement ses très rabâchés éléments de langage : «Au PS, on a tout bâti entre 1977 et 2012, et on a tout perdu en cinq ans. Même si, sur le régalien, ils ont tenu leur place.» On notera la dichotomie «on» et «ils».

Avec Emmanuel Macron, visitant des salariés d'une Scop, il «découvre quelqu'un à l'écoute, capable de fédérer et qui dégageait une aura». Même s'il se défend de «donner dans le registre du coup de foudre», Travert, qui se définit «patient et robuste mais un peu trop fermé et assez solitaire», choisit de rejoindre Macron pour œuvrer sur le projet de loi sur le travail du dimanche. Il en sera l'un des rapporteurs avec Richard Ferrand, qui est devenu son «ami». Le voilà ensuite porte-parole de la campagne présidentielle du candidat LREM. Fraîchement porté à l'Elysée, Macron le propulse au ministère de l'Agriculture, en juin 2017, dans le deuxième gouvernement Philippe. Avant d'accepter, il a appelé sa femme et ses parents. Puis il s'est «mis en mode mission». Désormais, il «travaille, travaille, travaille, car le rythme est très soutenu dans ce ministère exigeant où l'on doit gérer des crises sanitaires et économiques».

Chaque matin voit l'homme abstème - il ne s'autorise qu'un verre de rouge exceptionnellement - quitter sa couche à 6 heures dans son logement de fonction rue de Varenne, pour démarrer sa journée à 7 heures, avant d'éteindre sa lampe de chevet à 1 h 30, non sans avoir appelé ses deux fils de 10 et 13 ans après leur dîner à son domicile de La Haye-du-Puits. Mais cela ne lui coûte pas. «Je n'ai rien d'autre à faire à Paris. Et puis, on s'impose le rythme que l'on veut et dans lequel on se sent bien !» Le discours de sa méthode ? «Concertation, dialogue, compromis.» Son ambition ? «Réconcilier les systèmes agricoles.» Et, aussi, «simplifier et améliorer la vie des agriculteurs, leur rendre de la fierté». Quid de ses relations avec Stéphane Le Foll, ancien pensionnaire de son ministère ? «J'ai du respect et de l'amitié pour lui. Je l'ai soutenu pendant cinq ans.» Et de Nicolas Hulot, son homologue de la Transition écologique et solidaire, avec lequel on lui prête - à raison - une distance certaine :«J'ai avec lui des relations de travail comme avec mes collègues du gouvernement.» Il dit : «L'agriculture n'est ni de droite ni de gauche. Elle est universelle.»

De retour en famille dans sa maison du Cotentin dès qu'il le peut, il écoute volontiers du jazz, Laurent Garnier, Camille, Agnès Obel, Paolo Conte ; ne rate jamais une date de chaque tournée d'Eddy Mitchell ; scotche devant les séries télé Borgen, Engrenages, House of Cards, le Bureau des légendes, Un village français ; revisionne des films en noir et blanc du siècle passé signés Hitchcock et Lautner ; passe des vacances au Pays basque (mais pas à Ushuaia) ; n'adore rien tant que stationner sur le sable d'une plage du Cotentin, région où il se voit retraité le temps venu, même s'il n'est «pas un contemplatif». Love Will Tear us Apart(«l'amour nous déchirera»), chantait le damné Ian Curtis. Ce morceau culte de Joy Division compte parmi les préférés de Stéphane Travert. Sauf coïncidence maligne, n'y voir cependant aucun rapport avec son sentiment socialiste déçu. Et s'il porte Habit rouge, de Guerlain, sur la nuque «depuis des années», sa mutation politique n'y a rien changé. «J'y resterai fidèle», jure-t-il. Par chance, «la start-up nation» macronienne ne donne pas dans la parfumerie. Voire.

12 octobre 1969 Naissance à Carentan.

1987 Adhère au PS.

Depuis 2010 Conseiller régional.

2012 Député de la Manche.

Mai 2017 Réélu député.

Juin 2017 Ministre de l'Agriculture et de la Pêche.