Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, qui réunit les 35 économies les plus développées de la planète, Pascal Saint-Amans œuvre inlassablement depuis des années à son projet de réforme globale de la fiscalité au niveau mondial. Il explique comment l’irruption des nouveaux modèles économiques du numérique a compliqué la donne.
Dans quelle démarche s’inscrit votre action ?
Tout part du constat établi dès le début des années 2010 par l’OCDE que les entreprises multinationales, et pas seulement celles dites du numérique, ont abouti par leurs pratiques d’optimisation fiscale - destinées au départ à éviter une double imposition - à se retrouver dans des situations de double non-imposition. La numérisation de l’économie complique les choses dans la mesure où elle dépasse largement le seul enjeu de la fiscalité du numérique. D’où l’importance d’arriver à une solution globale qui ne se contente pas de taxer trois ou quatre entreprises qui, par ailleurs, ont des modèles d’activité assez différents.
Que voulez-vous dire ?
Entre un Apple qui tire une part écrasante de ses revenus de la vente de smartphones et de tablettes, un Amazon qui se concentre sur la vente à distance et des Google et Facebook qui valorisent leur audience et les données qu’ils en retirent en révolutionnant le modèle publicitaire des télévisions commerciales, on voit bien que les modèles économiques du numérique sont très variés. On ne peut pas se contenter d’additionner des pommes et des poires pour la seule raison que ces multinationales ont en commun de pratiquer une planification fiscale agressive.
Voulez-vous dire que l’Europe a tort d’agir de la manière dont elle le fait ?
Elle reconnaît elle-même qu’il y a des solutions de court terme qui sont imparfaites, et d’autres plus prometteuses mais qui sont de plus long terme et plus difficiles à mettre en place. L’OCDE œuvre dans cette deuxième catégorie, et nous avons produit un rapport vendredi qui vise à aider les Etats et le G20, pour lequel nous effectuons ce travail, à mieux cerner les différents débats que soulève le développement de cette économie de plus en plus numérisée.
Quels sont-ils ?
Le premier point concerne la définition de ce qui lie une activité à un territoire donné lorsqu’une entreprise a une forte présence économique dans un pays sans y avoir pour autant une présence physique. Le deuxième porte sur la question de la dépendance des entreprises à un modèle basé sur la propriété intellectuelle, comme dans le cas des algorithmes de Google. Mais on voit bien que la propriété intellectuelle ne concerne pas seulement des activités de services immatérielles ou numériques quand Apple, par exemple, s’enrichit essentiellement en vendant du matériel. Le troisième enfin est de définir ces entreprises par la valeur qu’elles retirent des interactions des utilisateurs sur leurs plateformes. Mais cela ne permet pas de taxer à sa juste mesure les services par abonnement comme Netflix.
Que faut-il donc faire pour arriver à une solution globale ?
Il s'agit d'adapter les règles pour que toutes les activités, y compris numériques mais pas seulement, soient réellement taxées là où se crée la valeur. Les 113 pays qui font partie de notre groupe sur l'érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices sont d'accord sur le fait que le statu quo actuel ne peut plus durer, mais pas encore sur la manière de parvenir à une taxation juste de ce que les Français appellent les Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr]. Notre ambition est de parvenir à une solution d'ici à 2020.