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Libération

Voiture électrique : l’écueil des 300 km

En février, les ventes de voitures électriques ont baissé. En cause : la cherté des modèles et une autonomie encore trop limitée.
publié le 11 avril 2018 à 19h46

Le courant ne passe toujours pas entre la voiture électrique et les Français. Pourtant largement favorables au développement de la mobilité électrique, à en croire une étude Ipsos, rares sont ceux qui franchissent le pas aujourd’hui. Sur les 2,1 millions de véhicules particuliers neufs immatriculés l’an dernier dans l’Hexagone, moins de 25 000 sont 100 % électriques. En février, les ventes ont même reculé de 8 % par rapport à la même période l’an dernier, à l’inverse de la tendance du marché automobile français.

Si les acheteurs hésitent, alors que la voiture électrique apparaît comme l'une des principales solutions dans la lutte contre le changement climatique et la pollution de l'air dans les villes, c'est, en premier lieu, parce que le prix à l'achat et le coût des batteries sont jugés trop dissuasifs, d'après le même sondage (lire page IV). Une Renault Zoe neuve, l'un des modèles les plus abordables, ne coûte pas moins de 23 700 euros (bonus écologique de 6 000 euros inclus et hors location de batterie), soit deux fois plus qu'une Twingo essence dernière génération.

Surtout qu'avec ça, on n'est même pas sûr de pouvoir emmener la famille en vacances. C'est la deuxième raison de ce désamour : la peur de la panne. «Les gens ne sont clairement pas prêts à envisager d'acheter une voiture 100 % électrique avec une faible autonomie», confirme Joseph Beretta, président de l'Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere). Les automobilistes en veulent pour leur argent. Même s'ils ne roulent en moyenne que 30 kilomètres par jour, «ils attendent des quatre roues électriques des performances proches de leurs voitures actuelles», poursuit Joseph Beretta. En clair, de pouvoir parcourir 500 km sans recharge et de faire le plein en moins d'une minute. «L'autonomie est un critère important pour nos clients, avec un seuil psychologique à 300 km», constate-t-on chez Renault.

Or les voitures électriques aujourd’hui proposées en concessions ne dépassent pas encore ce seuil - exception faite des Tesla Model S et X, hors de prix. La Renault Zoe ? 300 km, pas plus. La Hyundai Ioniq ? 280 km, grand max. La Nissan Leaf ? 270 km, et encore, faudrait pas trop charger le coffre.

Deux tendances

Engagés dans une mutation vers le 100 % électrique dans un contexte de dieselgate et d'urgence climatique, à l'image de PSA qui entend proposer une version électrique pour chaque modèle de ses marques Peugeot, Citroën, DS, Opel et Vauxhall d'ici 2025, la majorité des constructeurs se lancent donc dans une course à qui embarquera le plus d'énergie dans ses véhicules. «Il y a deux tendances : augmenter l'autonomie et réduire le prix sans rajouter de batteries»,résume Joseph Beretta.

La première donne lieu à une vraie surenchère. «Nos véhicules électriques de deuxième génération auront une autonomie de 450 km [selon la norme] NEDC», indique-t-on chez PSA, soit environ 350 km en utilisation normale mesurée par la nouvelle procédure d'homologation WLTP. Le SUV 100 % électrique d'Audi, attendu cette année, vise les 400 km. Dans la même catégorie, Hyundai annonce 480 km en une seule charge pour son futur Kona électrique doté d'un pack de batteries de 64 kWh. Renault va plus loin en évoquant «des véhicules 100 % électriques à plus de 500 km d'autonomie» d'ici 2022, lorsque sa gamme en proposera trois de plus qu'aujourd'hui. BMW, Mercedes, Toyota et Volkswagen sont aussi sur les rangs, sans toutefois communiquer de chiffres.

La plupart des constructeurs ont fait le choix de la technologie lithium-ion pour leurs batteries, meilleur compromis actuel entre densité d'énergie (quantité d'énergie embarquée par unité de volume), durée de vie, rendement et coût. Et ils peuvent s'appuyer sur une recherche fondamentale très active dans ce domaine, qui profite d'abord aux smartphones et garde aussi en ligne de mire le stockage des énergies renouvelables intermittentes. «Il ne se passe pas un mois sans que des chercheurs annoncent avoir amélioré tel ou tel aspect des batteries», constate Serge Pelissier, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar). «On atteint aujourd'hui les 240 watt-heure par kilo en laboratoire, et l'objectif pour les chercheurs se situe entre 300 et 400 Wh», précise Mathieu Morcrette, directeur du laboratoire de réactivité et chimie des solides (université de Picardie et CNRS), qui fait référence en France dans le domaine.

De quoi booster d’un facteur 6 à 10 l’autonomie d’une Renault Zoe, si de telles batteries étaient un jour produites à un prix acceptable.

matériaux plus légers

D'autres technologies comme le lithium-souffre et le lithium-air sont envisagées. Celles-là permettent, en théorie, d'augmenter considérablement la densité d'énergie embarquée tout en réduisant drastiquement le coût. «Mais elles sont loin d'être sur le marché, pointe Mathieu Morcrette, tant les verrous scientifiques à lever avant de pouvoir en fabriquer pour l'automobile sont nombreux.» Les autres challengers, le sodium-ion et le lithium-métal (pour lequel a opté Bolloré), plus matures, ne séduisent pas encore les constructeurs autos.

Ceux-ci misent aussi sur des équipements moins voraces en énergie pour gratter quelques kilomètres d'autonomie. «L'éclairage LED, la pompe à chaleur ou les pneus à faible résistance au roulement sont envisagés par tous les constructeurs», signale Joseph Beretta. La plupart cherchent aussi à réduire la masse de leurs véhicules grâce à de nouveaux matériaux plus légers et robustes.

Augmenter à tout prix l'autonomie n'est cependant pas la seule façon de rassurer les futurs acheteurs, souligne le président de l'Avere. L'une d'elles consiste à étoffer le réseau des points de recharge. L'entreprise Chargemap en recense déjà plus de 60 000 en France, principalement dans des parkings et sur la voirie. «Il y a encore des zones blanches, surtout dans le centre du pays. Mais on les traverse sans problème avec des autonomies de 300 km», rassure Joseph Beretta. Toutes les bornes de charge ne sont toutefois pas gratuites, ni accessibles à tous. Certaines sont ainsi réservées aux clients d'un constructeur ou aux abonnés d'un réseau de stations. «Il y a des progrès à faire sur l'interopérabilité entre stations», concède Joseph Beretta.

Encore faut-il pouvoir, aussi, faire le «plein» rapidement. Or celui-ci peut prend entre une heure et un jour selon qu'on branche sa voiture sur une prise rapide à 43 kilowatts ou domestique à 2,3 kW - la vitesse de charge dépend de la puissance électrique délivrée. Or, les bornes rapides ne sont pas légion : elles représentent aujourd'hui moins de 7 % de tous les points de charge en France. Et si l'opérateur Ionity prévoit d'en installer 400 de plus le long des grandes routes européennes d'ici 2020, dont certaines dotées d'une puissance de 350 kW (8 fois plus rapides que les «rapides» actuelles), l'urgence se situent davantage, pour l'Avere, du côté des habitats collectifs : «Il faut installer des box rapides chez les gens, leur absence est un frein à l'achat», souligne Joseph Beretta.

Quoi qu'il arrive, nous n'échapperons pas à une vraie réflexion sur nos habitudes de mobilité. Car mettre de l'électricité dans nos voitures ne réglera pas tout. Comme le souligne le chercheur Serge Pelissier, «cette transition énergétique n'est-elle pas aussi l'occasion de repenser nos trajets du quotidien, voire de sortir de l'auto en monopropriété (1) ?»

(1) Sur ce dernier point, lire sur Liberation.fr notre dossier consacré aux nouvelles mobilités, www.liberation.fr/le-grand-paris-bouge-t-il