Il avait la tête dans les étoiles avec Space X. Au volant de Tesla, Elon Musk est retombé brutalement sur le plancher des vaches. «Je retourne dormir à l'usine. Le business de l'automobile, c'est l'enfer», a-t-il tweeté le 2 avril. Un peu comme si le serial-entrepreneur découvrait soudainement que l'on ne devient pas General Motors du jour au lendemain. Loin des exploits de son entreprise spatiale (lire ci-contre), l'aventureux milliardaire se démène aujourd'hui pour éviter la faillite promise à sa firme de voitures électriques par les loups de Wall Street. Elon Musk a bien essayé de tourner les mauvais augures en dérision : le lundi de Pâques, sur le même réseau social, il avait posté une photo où il posait, étendu à terre, en état apparent de coma éthylique, avec un panneau «Bankrupt !» autour du cou. Déclaration tragicomique à l'appui : «Nous sommes tristes de vous informer que Tesla est en faillite complète et totale. Plus en faillite que cela, tu meurs.» Poisson d'avril, bien sûr. Mais les investisseurs ont peu goûté la plaisanterie : l'action Tesla a plongé de 15 % les deux jours suivants !
Nain
Ce début de panique boursière fait suite à l'avertissement lancé le 27 mars par le gérant de fonds spéculatif John Thompson : «Je pense que Tesla va s'écrouler dans les trois-six mois à venir. […] Tesla est, sans aucun doute, au bord de la faillite», a-t-il écrit dans une lettre aux investisseurs. Ce poids lourd de la finance résume le problème en une formule assassine : «Tesla vaut deux fois plus que Ford, mais Ford a fabriqué 6 millions de voitures l'an dernier et gagné 7,6 milliards de dollars, tandis que Tesla a construit 100 000 voitures et perdu 2 milliards de dollars. Je n'ai jamais rien vu d'aussi absurde dans ma carrière.» Musk, qui a lancé sa première Model S en 2012 en faisant le pari que la voiture du futur serait 100 % électrique et autonome, a certes réussi à imposer sa vision révolutionnaire au vieux monde automobile. Mais Tesla, qui n'a jamais été rentable en quinze ans d'existence (2 milliards de dollars de pertes en 2017), reste un nain industriel. Plus grave, avec ses 10 000 salariés, son immense usine de batteries dans le désert du Nevada (la «Gigafactory») et ses lignes de production entièrement robotisées, l'entreprise consomme une quantité faramineuse de cash. Elle brûlerait 8 000 dollars par minute selon Bloomberg (soit plus de 4 milliards par an), alors qu'elle doit faire face à une dette à long terme stratosphérique (plus de 10 milliards). Musk promet les premiers profits de son entreprise pour la fin de l'année. Mais ces compteurs affolants ont pour le moment amené l'agence Moody's à dégrader la note de crédit de Tesla dans la catégorie des «junk bonds» (obligations pourries).
Après les Model S et X (réservés à une élite capable de débourser 100 000 dollars), Elon Musk pariait sur le lancement de sa nouvelle Model 3, la première voiture électrique grand public de la marque, pour éviter le crash. La version de base de la Model 3 ne coûte «que» 35 000 dollars, mais avec tout ce qui a fait le succès de la marque : un moteur électrique ultra-performant, une autonomie de 400 km pour un temps de recharge de trente minutes, un écran d'ordinateur géant et des systèmes de conduite quasi autonome… Or ses équipes ont bien du mal à relever le défi que constitue la production en grande série : Tesla s'avère incapable d'assembler cette petite berline à un rythme assez soutenu pour satisfaire la demande. 450 000 clients américains ont en effet versé 1 000 dollars pour précommander la Model 3. Or ils n'auront pas leur Tesla avant un, voire deux ans ! «Les premières livraisons commenceront au premier semestre 2019 en Europe», promet toutefois la firme.
Béton
En attendant, l'usine ultra-moderne du constructeur, à Fremont, dans la Silicon Valley, n'est parvenue jusque-là à produire que 2 000 Model 3 par semaine, là où Elon Musk en avait promis 10 000 fin 2018. Et c'était avant la suspension surprise de la production de l'usine de Frémont décidée lundi afin d'améliorer des problèmes d'organisation sur la chaîne. Dans une récente interview à une chaîne de télé américaine, le patron de Tesla a reconnu avoir trop fait confiance aux robots pour produire la Model 3 et «sous-estimé les humains». «Musk est en train de se heurter au mur du réel. Les grands de l'automobile ont mis un siècle pour arriver à produire des voitures en très grande quantité. Même en recrutant les meilleurs, Tesla ne peut pas assimiler cette courbe d'expérience en quelques mois», explique Laurent Petizon, du cabinet d'études AlixPartners.
Et quand une Tesla en mode semi-autonome est suspectée d'avoir tué son conducteur, c'est l'accident industriel qui menace : le 23 mars, un ingénieur d'Apple à bord d'une Model X sur une autoroute californienne n'a pas réagi aux alertes de «l'autopilot» et le véhicule s'est écrasé sur la glissière de béton. C'est au moins le deuxième mort impliquant Tesla après un autre accident survenu en Floride. Alors, quel avenir pour Tesla ? Le scénario qui verrait Musk contraint de revendre son entreprise à un poids lourd de l'automobile n'est pas à exclure. Mais Tesla vaut encore 50 milliards de dollars ! Personne n'achètera à ce niveau de prix qualifié d'«hallucination collective» par certains analystes. Alors, s'il ne veut pas voir partir son bolide électrique à la casse, Musk «devra réussir un véritable tour de magie logistique et industriel», estime l'expert d'AlixPartners. Rien d'impossible pour qui vient d'envoyer son propre roadster Tesla dans l'espace à bord d'une fusée Space X.