«Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis» pourrait être la nouvelle devise de Microsoft. Après avoir combattu pendant des années le logiciel libre – que Steve Ballmer, ancien PDG du géant informatique avait carrément qualifié en son temps de «cancer» – l'éditeur de Windows et de la suite Office vient de s'emparer de l'une des principales plateformes de développement en code ouvert.
Très à l’offensive dans ce secteur depuis l’arrivée à sa tête de Satya Nadella, en 2014, Microsoft vient d’annoncer le rachat de GitHub pour la coquette somme de 7,5 milliards de dollars (6,4 milliards d’euros). Une acquisition stratégique destinée à renforcer sa présence dans les activités de «cloud computing» («nuage informatique» – c’est-à-dire le stockage de données et la mise à disposition d’outils informatiques et de calcul à distance), en très forte croissance et dans lesquels Microsoft pointe aujourd’hui au deuxième rang mondial derrière Amazon. Après le rachat du réseau social professionnel LinkedIn pour 26,2 milliards de dollars en 2016 (22,3 milliards d’euros), il s’agit de la deuxième plus grosse acquisition sous la houlette de Satya Nadella. Tout récemment devenu la deuxième capitalisation boursière mondiale devant Google, Microsoft a les moyens de ses emplettes. Mais pour aller où ?
«Ecrire le code du monde»
Dans la course de vitesse qui s'est engagée entre les géants de la «Tech» (Google, Amazon, IBM, Salesforce, etc.) pour s'imposer comme le leader du nuage informatique, c'est à qui proposera le plus d'outils et de services pour attirer le maximum d'entreprises et de développeurs sur sa plateforme. «La bataille se concentre sur l'idée que celui qui attirera le plus de développeurs dans son écosystème emportera la mise, analyse Frank Gens, analyste de marché pour la société d'études IDC. Pour Microsoft, l'acquisition de GitHub va lui permettre de consolider et d'élargir ses relations au sein de cette communauté clé». Saluant l'opération, Satya Nadella, qui pose tout sourire en jeans tee-shirt avec les deux fondateurs de GitHub, explique que «les développeurs sont les fondateurs de cette ère nouvelle et vont écrire le code du monde».
Lancé en 2008 et réunissant aujourd'hui une communauté mondiale de 28 millions de programmeurs, GitHub s'est rapidement imposé grâce à la souplesse de son approche. Des développeurs indépendants aux très grosses multinationales, ses fichiers de code source qui représentent plus de 85 millions de projets informatiques sont librement mis à disposition et en version gratuite pour la version de base. Mais il faut payer des frais sous la forme d'un abonnement mensuel lorsque l'on dépasse la capacité de stockage standard, que l'on accède à des outils de développement «privés» au sein d'une «équipe de développeurs». Bien que la société ne déclare pas ses revenus et que la plupart de ses utilisateurs s'y connectent gratuitement, les analystes estiment que GitHub génère de l'ordre de 200 millions de dollars (170 millions d'euros) de chiffre d'affaires annuel.
Le modèle du développement en «open source» a longtemps été l'ennemi à abattre pour Microsoft qui y voyait un danger mortel pour son modèle propriétaire où seules des licences d'exploitation aux conditions très précises et rédigées par des armées d'avocats sont cédées à des clients. Mais la multinationale, basée à Redmond, dans l'Etat de Washington, a fini par comprendre qu'elle n'était pas en mesure de lutter contre la «multitude» de la communauté de l'open source dont les applications les plus diverses ont fini par être utilisées par les plus grandes entreprises et leurs développeurs qui partagent la même culture que ceux actifs sur GitHub. D'où la multiplication ces dernières années des gestes de Microsoft en direction du monde de l'open source. Microsoft a également compris qu'en enfermant les développeurs tiers dans un environnement trop fermé, ces derniers préfèrent diffuser leurs applications ailleurs. Ce fut le cas avec le système d'exploitation libre Android proposé par Google dont la croissance spectaculaire a sonné le glas des ambitions du numéro un mondial du logiciel dans la téléphonie avec l'arrêt de Windows Phone et l'arrêt de sa boutique d'application Windows Store. Retenant la leçon, Microsoft a d'ailleurs préféré fermer son propre site de dépôt de code, baptisé Codeplex.
Neutralité technologique
Devenu membre de la fondation Linux, donateur depuis 2017 de «l'Open source initiative», une organisation dédiée à la promotion et à la protection des logiciels en code ouvert, Microsoft peut se targuer du fait que sur GitHub est l'un de ses projets développés qui rassemble le plus de contributeurs. Lors de l'annonce du rachat, les responsables des deux parties ont insisté sur le fait que GitHub resterait une communauté «technologiquement neutre» et ne se transformerait pas en un «jardin clôturé» contrôlé par Microsoft. «Les développeurs sont par nature très sceptiques vis-à-vis des mains tendues par les grandes entreprises et se sont construits en opposition à ce modèle tout intégré, explique Ed Anderson, analyste pour le cabinet d'études Gartner. Microsoft devra leur prouver sa volonté de se mettre à leur service et non d'imposer ses propres priorités en les amenant à utiliser ses produits et outils.»
En rachetant la première plateforme indépendante du marché, Microsoft suit en définitive la stratégie déjà mise en œuvre avec Linkedin : racheter le numéro un du marché pour se redéployer sur une infrastructure déjà en situation dominante. On ignore encore en revanche à ce stade comment la firme compte rentabiliser cet investissement conséquent. Microsoft, qui dispose d’une très confortable trésorerie et a vu sa rentabilité fortement croître à la faveur de l’explosion des activités de cloud computing, s’est contenté d’indiquer qu’il s’attendait à ce que l’opération ait un effet positif sur ses bénéfices dès 2020.