Qui succédera à Jean-Marc Janaillac à la tête d’Air France ? Alors que le conseil d’administration du groupe aérien doit se réunir ce mardi pour en discuter, le moins que l’on puisse dire est que le premier nom sorti du chapeau n’a pas suscité l’enthousiasme de l’Etat. Bien que ne détenant plus que 14,3% du capital d’Air France-KLM, il continue d’y peser d’un poids très lourd, à la fois symboliquement et politiquement.
Après que le nom de l'actuel directeur financier de Veolia, Philippe Capron, a fuité dans la Tribune en fin de semaine dernière, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a réagi plutôt froidement à cette hypothèse. «C'est un candidat parmi d'autres, a-t-il commenté dimanche au Grand Jury RTL/le Figaro/LCI, il fait partie des candidats possibles, mais ce n'est pas le seul.» Et d'esquisser le profil d'un candidat idéal qui visiblement ne correspond pas à celui de ce dirigeant réputé pour avoir participé activement à la transformation de grandes entreprises (Arcelor-Mittal, Vivendi et enfin Veolia où il officie depuis 2014) : «Il faut une expérience, il faut une capacité à relancer un dialogue social qui aujourd'hui est au point mort, hélas, à Air France», a-t-il souligné, ajoutant que la nomination du nouveau PDG devrait toutefois intervenir le plus vite possible. «Le mois de juillet serait idéal», a-t-il précisé tandis qu'Anne-Marie Couderc, présidente non exécutive d'Air France-KLM qui assure l'interim en attendant l'arrivée d'un nouveau PDG du groupe, avait fixé l'échéance de la mi-juillet.
Deux cabinets de chasseurs de têtes ont été mandatés par Air France-KLM pour recruter la perle rare qui devra en premier lieu trouver une issue au conflit salarial qui a provoqué le départ de Jean-Marc Janaillac. Mais le comité de nomination composé d’Anne-Marie Couderc, du hollandais et administrateur du groupe Alexander Wynaendts et de Jean-Dominique Comolli qui y siège comme le représentant de l’Etat français, n’a visiblement pas ou peu reçu de spécialistes du transport aérien. D’où l’agacement de représentants de pilotes qui s’inquiètent d’une certaine opacité autour de la sélection des candidats.
«Le choix du futur patron ne peut pas se faire au détriment de KLM»
Dans une lettre ouverte adressée samedi à la présidente non exécutive d'Air France-KLM, Anne-Marie Couderc, et aux membres de la direction collégiale (les anciens présidents des deux principaux syndicats de pilotes français et néerlandais SNPL AF et VNV, Erick Derivry et Steven Verhagen, et le président du syndicat néerlandais des mécaniciens de KLM, Robert Swankhuizen), ainsi qu'un ancien administrateur représentant les pilotes d'Air France, Bernard Pédamon, ont mis en garde les membres du conseil d'administration contre «une décision inappropriée du comité de nomination». Une décision qui pourrait avoir des «conséquences graves», écrivent-ils : «Air France-KLM n'a pas besoin qu'une oligarchie place une personne aux commandes pour toutes sortes de mauvaises raisons, poursuivent-ils. Air France-KLM a besoin d'un dirigeant charismatique, compétent, fort, et indépendant.» Le plus important, selon eux, est que le futur patron du groupe aérien franco-néerlandais possède une connaissance du transport aérien «et des réalités auxquelles Air France-KLM est confronté». Pas exactement le profil de Philippe Capron, qui a bien connu Jean-Marc Janaillac pour avoir siégé au conseil d'administration de Transdev du temps où ce dernier dirigeait cette entreprise de transports terrestres et qui, selon les Echos, aurait déjà rencontré plusieurs administrateurs du groupe.
Alors que les interrogations vont bon train depuis plusieurs semaines sur l'avenir de la gouvernance de ce groupe binational, le futur patron du premier transporteur aérien européen en 2018 – en termes de nombre de passagers – devra outre le soutien de l'Etat s'assurer de celui de la partie néerlandaise qui a peu apprécié de n'avoir point eu son mot à dire sur la crise qui secoue l'entreprise. Les administrateurs de KLM plaident désormais pour une réforme de la gouvernance du groupe aérien qui mettrait KLM, en bien meilleure santé qu'Air France et qui procure à l'ensemble la grande majorité de ses bénéfices, sur un pied d'égalité avec la branche française. Dans cette optique, le remplaçant de Jean-Marc Janaillac ne serait plus que le PDG d'Air France aux côtés de Pieter Elbers pour KLM. Et le futur président du groupe aurait pour fonction de se concentrer sur la stratégie et de veiller à l'équilibre de l'offre – un sujet très délicat – entre les deux transporteurs. «Le choix du futur patron ne peut pas se faire au détriment de KLM, décrypte un connaisseur du dossier, il faudra pour que ce choix soit validé par la partie néerlandaise, que ce soit quelqu'un qui travaille dans l'intérêt du groupe et pas seulement d'Air France.»
«Tout est gelé»
Du côté des pilotes, on souligne que s'ils n'ont pas à intervenir dans ce choix du futur PDG, il faudra que le nouveau venu soit un homme de dialogue social, à l'image de ce qui s'est fait ces dernières années chez KLM, dit l'un d'eux. «Ce qui est certain, c'est qu'il faut que les hommes liés au fiasco que l'on vient de connaître et qui ont trompé Janaillac s'en aillent, dit un commandant de bord syndiqué SNPL, le syndicat majoritaire des pilotes chez Air France. Une allusion au directeur général actuel d'Air France, Franck Terner, et au DRH, Gilles Gateau, qui a conduit les négociations avec les syndicats sur le rattrapage salarial que ces derniers réclamaient sans jamais réussir à trouver un terrain d'entente avec les grévistes. «Tout est gelé et si l'on n'est pas très vite entendu par le nouveau patron avec une revalorisation salariale immédiate à la clé, la prochaine grève sera illimitée et au cœur de l'été, prévient-il. D'où l'urgence à recruter quelqu'un de reconnu par les professionnels du secteur. Le mieux, ce serait que l'Etat se désengage», conclut-il. «Tant que l'Etat aura la main, on n'arrivera à rien.» Ce n'est apparemment pas l'avis de Bruno Le Maire, qui affirme cependant que le choix du futur patron d'Air France-KLM «ne sera pas celui du prince» et se fera en accord avec l'ensemble des actionnaires.