Le choix du remplaçant de Jean-Marc Janaillac à la tête d'Air France serait-il en train de prendre un tour plus politique ? Ecarté du processus de recrutement pour succéder au PDG démissionnaire du groupe aérien franco néerlandais, le directeur financier de Veolia Environnement, Philippe Capron, a très peu apprécié la manière dont il aurait été bloqué au motif de son absence d'expérience du secteur.
Sélectionné par le comité de nomination, composé de sa PDG par intérim, Anne-Marie Couderc, de l'administrateur néerlandais d'Air France-KLM Alexander Wynaendts et de Jean-Dominique Comolli (représentant de l'Etat), Philippe Capron est sorti de son silence pour expliquer comment «une intervention extérieure a bloqué ce processus».
Pillage de données commerciales
Dans un courrier adressé à l'actuelle patronne de la compagnie que se sont procuré Le Monde et La Tribune, Philippe Capron écrit avoir «surtout eu l'impression que [son] arrivée dérangeait ceux qui voulaient faire main basse à bon compte sur Air France-KLM et l'affaiblir». Une allusion au fait que sa nomination aurait reçu un tir de barrage du groupe Accor Hotels qui, début juin, s'est porté candidat à la reprise de tout ou partie de la participation de 14,3% de l'Etat au capital de la compagnie aérienne. Un projet étudié sérieusement par le gouvernement et sur lequel il a émis de très sérieuses réserves.
Phillipe Capron soupçonne le groupe hôtelier dirigé par Sébastien Bazin d'être surtout intéressé par la perspective de «piller les données commerciales» d'Air France-KLM en mettant notamment la main sur le fichier du programme de fidélisation Flying Blue et/ou d'utiliser l'opération comme une «poison pill» (pilule empoisonnée) afin de mettre Accor Hotels à l'abri d'une prise de contrôle «par des intérêts extracommunautaires».
Pour cet inspecteur des finances passé par plusieurs grandes entreprises (Arcelor-Mittal, Vivendi et enfin Veolia où il officie depuis 2014), ce rachat de la part de l'Etat «serait d'autant plus scandaleux» qu'il se ferait à un prix très bon marché (450 millions d'euros) en raison de la chute du cours d'Air France-KLM ces derniers mois. «Dans le contexte des événements récents, je souhaite vous informer de mon retrait du processus de recrutement en cours», écrit Philippe Capron à Anne-Marie Couderc. Il avait pourtant le sentiment «d'avoir gagné à la loyale» après avoir été l'unique candidat retenu par le comité de nomination.
Mécontentement
Sûr de son fait, Philippe Capron avait même commencé à rencontrer certains administrateurs avant que sa candidature ne soit commentée en des termes peu flatteurs. «C'est un candidat parmi d'autres», avait réagi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avant d'insister sur le fait qu'il faut pour ce poste «une expérience, une capacité à relancer un dialogue social qui aujourd'hui est au point mort, hélas, à Air France». Quant à la ministre des Transports, Elisabeth Borne, elle avait estimé que «c'était important que l'on ait un professionnel du transport aérien». Plusieurs candidats spécialistes de ce milieu s'étaient plaints d'avoir été écartés du processus de sélection en étant reçus par les chasseurs de tête mais pas par le comité des nominations.
Parallèlement à ce cafouillage, la crise actuelle a mis en lumière le mécontentement de la partie néerlandaise du groupe. KLM, qui a apporté l’essentiel des bénéfices du groupe l’an dernier, n’apprécie guère d’avoir été mise à l’écart et réclame une évolution de la gouvernance du groupe. Alors que jusqu’à présent le patron d’Air France était également celui de l’ensemble formé avec KLM, les Néerlandais seraient favorables au fait d’avoir un patron pour chacune des deux entités, coiffés par un PDG du groupe en charge de la stratégie de l’ensemble avec un profil plus international.
Réuni en séminaire stratégique la semaine dernière à Amsterdam, les administrateurs du groupe ont discuté de ces deux options (le statu quo actuel ou une gouvernance à trois têtes), sans réussir à trancher une question qui nécessite un feu vert de l’Etat français.
Accor Hotels toujours à la manœuvre
Il va maintenant falloir aller très vite pour tenir le délai du mois de juillet, qui avait été fixé par Bruno Le Maire. Selon le Monde, Accor continue de travailler d'arrache-pied à son projet de reprise de la part du capital détenu par l'Etat. Une réunion à Bercy aurait tout récemment rassemblé à ce sujet des représentants d'Accor Hotels, de la compagnie aérienne américaine Delta (actionnaire à 8,8% d'Air France-KLM), et de KLM mais sans la présence d'Anne-Marie Couderc. «Il faudrait que ça aille le plus vite possible, explique un cadre de l'entreprise, tout cela crée un brouhaha qui n'est pas de nature à ramener de la sérénité. Tout le monde s'en mêle et cela risque de faire traîner ce processus en longueur alors qu'il y a urgence.»