Pourquoi Mercure est-elle délaissée par l'exploration spatiale, elle qui est voisine de la Terre ? Tout simplement parce qu'il est compliqué de s'y rendre. «Il est en fait plus difficile d'aller sur Mercure que sur Jupiter, à cause de l'attraction du Soleil», nous expliquent Kader Amsif et Pierre Bousquet, deux responsables français de la mission, respectivement rattachés au Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos) et au Centre national d'études spatiales (Cnes).
Violence. Première planète du Système solaire, Mercure est celle qui orbite le plus près du Soleil. On ne peut pas juste lui foncer dessus, sous peine de se faire engloutir par ce monstre de gravitation qui nous sert d'étoile. «Mercure est une petite planète, avec une masse faible. En arrivant à fond les ballons, on se ferait happer par le Soleil.» Il faut prendre son temps, et envoyer le vaisseau dans un grand voyage autour du Soleil en resserrant les ellipses petit à petit, comme une bille sur les parois d'un entonnoir.
Après son départ de Kourou (Guyane), BepiColombo va commencer par suivre peu ou prou l'orbite de la Terre pendant un an et demi. Il nous survolera le 13 avril 2020 et utilisera l'attraction terrestre pour prendre de l'élan et infléchir sa course vers l'orbite de Vénus. Elle-même sera frôlée deux fois pour envoyer BepiColombo dans une révolution encore plus serrée jusqu'à rejoindre l'orbite de Mercure, à la fin de l'été 2021. Et ce n'est qu'un début… Le vaisseau répétera cette manœuvre d'«assistance gravitationnelle» encore six fois auprès de Mercure, entre 2021 et 2025, avant de se stabiliser autour de la petite planète. Tout cela sans un gramme de carburant ! Au total, «on gratte 3 km/s gratuitement avec l'assistance gravitationnelle. Bepi poussera à 5 km/s au maximum, une vitesse commensurable à la poussée d'un lanceur.»
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Mais durant tout le voyage, le module de transfert vers Mercure (MTM) devra freiner constamment pour contrer l'attraction du Soleil, avec ses moteurs ioniques alimentés par deux panneaux solaires… qui ne seront pas tournés vers le Soleil. «Il faut imaginer la pure violence thermique de la situation», tentent d'illustrer Kader Amsif et Pierre Bousquet en inclinant leurs mains tendues : «Si un panneau solaire est face au Soleil, sa face éclairée monte à 420° C. Il ne le supportera pas. Alors on les tourne à un angle d'incidence de 10 %.» Les panneaux se retrouvent quasiment de profil par rapport au Soleil. Ils ne captent pas grand-chose, il a donc fallu les construire grands (42 m²) pour compenser.
Modélisation de la sonde BepiColombo : en haut, le satellite japonais MMO (octogonal) dans son pare-soleil, accroché au satellite européen MPO et au module de transfert avec ses deux longs panneaux solaires. (Image ESA)
Barbecue. Les panneaux ne sont pas les seuls instruments sensibles à la chaleur du rayonnement solaire. Il faut aussi protéger les satellites japonais (MMO) et européen (MPO) de BepiColombo. Durant le voyage, MMO (surnommé Mio) sera entouré d'un pare-soleil circulaire comme un chat dans sa collerette. Il s'en débarrassera au dernier moment, en décembre 2025, quand il se détachera de MPO pour suivre sa propre orbite mercurienne. Il devra alors se protéger tout seul en activant ce que la Nasa appelle le mode barbecue : il tournera sur lui-même quinze fois par minute pour rôtir uniformément, c'est-à-dire répartir la chaleur du Soleil sur les cellules solaires qui l'entourent. Quant à la sonde européenne, elle présentera à Mercure et au Soleil sa face équipée d'un radiateur à persiennes, pour évacuer la chaleur de ses instruments et réfléchir les rayons solaires. Cette nouvelle expertise européenne en températures extrêmes devrait être utile à l'avenir, notamment pour la mission Juice vers les lunes glacées de Jupiter, qui décollera en 2022.