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Libération
Interview

Hélène Tattegrain, : «On doit penser à une mise en sécurité»

Pour la chercheuse Hélène Tattegrain, les erreurs de monitoring représentent un danger majeur.
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 14 novembre 2018 à 17h07

Trois questions à Hélène Tattegrain, directrice du laboratoire ergonomie et sciences cognitives pour les transports (Lescot) au sein de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar). Ses recherches sur le véhicule automatisé sont menées depuis 1993 en collaboration avec les industriels de l’automobile et depuis 2010 avec les ministères concernés.

L’avènement du véhicule autonome individuel comporte-t-il un risque de déresponsabilisation du conducteur ?

Actuellement, le conducteur ne raisonne pas sur la réalité, mais sur une représentation qu’il se fait de la réalité. Pour la construire, il s’appuie sur ses connaissances de conduite qui guident ses stratégies visuelles, donc ce qu’il perçoit. Cette notion de représentation mentale explique un certain nombre d’erreurs. Si le conducteur est moins attentif, il collecte moins d’informations et risque donc de prendre une décision fondée sur une représentation incomplète. La construction de cette représentation de l’environnement est très liée à l’objectif de conduite qu’il a.

Dans un véhicule autonome, il n'a plus d'objectif de conduite, puisque c'est la voiture qui conduit. Donc il va modifier ses stratégies visuelles, ses perceptions. De plus, une personne qui n'a aucune activité physique à faire va se désengager de la tâche de supervision de la scène routière. Même si le conducteur regarde tout droit, il va penser à autre chose, voire téléphoner, lire ou somnoler, car l'humain n'aime pas s'ennuyer. Et s'il doit gérer une situation imprévue, il va lui falloir reconstruire dans l'urgence une représentation pour pouvoir prendre les bonnes décisions. Avec le véhicule automatisé de niveau 3 [lire encadré], le conducteur ne fait rien, mais doit quand même superviser pour reprendre la main en cas de nécessité. Quand on connaît le comportement cognitif humain, cela risque de poser des problèmes…

Quelles solutions sont envisagées pour réduire ces risques ?

Le groupe de travail GT29 à l’ONU discute actuellement de ces aspects et essaie de définir en concertation avec les industriels des règles de répartition des tâches entre le conducteur et le véhicule automatisé. C’est un travail en pleine construction, auquel notre laboratoire apporte sa contribution en discutant avec les représentants français, en particulier en expliquant l’apport du monitoring du conducteur – vérifier ce qu’il fait –, qui est un enjeu majeur. De plus, dans les niveaux 2 et 3, c’est au conducteur de décider d’activer le système d’autonomie et ensuite de vérifier si le système fonctionne bien. Or, comment savoir si le conducteur connaît bien les limites de son système ? Aux Etats-Unis, on a vu des personnes dans des Tesla dormir sur l’autoroute, filmées par d’autres conducteurs qui les doublaient. Ces conducteurs n’ont absolument pas conscience que leur véhicule est de niveau 2, ils semblent persuadés qu’il est en niveau 5, alors que ce n’est pas du tout le cas. On n’a pas encore conçu les véhicules à ce niveau de performance mais on a déjà les problèmes qui se posent.

Comment les constructeurs réagissent-ils à ces mises en garde ?

Les constructeurs qui viennent du domaine automobile ont une culture de la sécurité routière. Ils ont tout de suite identifié que le monitoring du conducteur est le sujet numéro 1, avant même de déployer les systèmes. Ils travaillent sur un monitoring fin afin de s’assurer que le conducteur est capable de reprendre la main. Ils réfléchissent également au fait que certains conducteurs ne reprendront pas la main. On doit penser à une mise en sécurité, au fait que la voiture sache se ranger sur le bas-côté par exemple. Ensuite, il y a les constructeurs qui viennent du numérique, qui n’ont pas cette connaissance du comportement du conducteur. Enfin, il y a des différences culturelles. En France, on privilégie la prudence. Aux Etats-Unis, le déploiement va plus vite et la question du comportement des véhicules et des conducteurs semble moins se poser. Cela s’est traduit par un nombre d’incidents et d’accidents déjà importants.