Stéphane Heim, maître de conférences à l'université de Kyoto et spécialiste des constructeurs automobiles, revient sur l'arrestation lundi à Tokyo de celui qui est considéré comme le sauveur de Nissan, Carlos Ghosn.
Vous vous attendiez à cette arrestation ?
Pas du tout, la nouvelle m’a surpris. Il faudra voir jusqu’à quel point Ghosn a falsifié ses salaires. Et surtout s’il y a utilisation des fonds de l’entreprise à des fins privées. Mettre cela au clair va être un long processus.
Ghosn a grosso modo quatre salaires : celui de PDG de Renault, de président de Nissan, de PDG de l’alliance Renault-Nissan et aussi celui de Mitsubishi Motors, racheté en 2016. Le problème dépasse cette affaire, il concerne la redistribution des gains au sein des grandes multinationales, avec des tensions fortes entre les dirigeants, actionnaires et salariés.
Les patrons doivent être irréprochables au Japon ?
Ils ont symboliquement une responsabilité plus importante qu’en Occident. On attend d’eux qu’ils soient d’autant plus honnêtes, car ils représentent l’image d’une entreprise. Une chose m’avait marquée. En 2015 ou 2016, Toyota avait pour la première fois accueilli une femme étrangère dans son conseil d’administration, une Américaine. Celle-ci avait fait importer des médicaments dont elle avait besoin. Ils étaient autorisés aux Etats-Unis, pas au Japon. Elle a perdu le poste. Le patron a dû s’excuser publiquement devant la presse pour une affaire privée…
Ghosn est le patron le plus adulé et le mieux payé de l’archipel…
Il est arrivé chez Renault en 1996, sous Louis Schweitzer. Il est monté en grade très vite. A l'époque, Nissan était mal en point, au bord de la banqueroute. Trois candidats se sont disputé la mise, Renault l'a emporté en mai 1999. Ghosn a été envoyé là-bas avec une toute petite équipe pour remettre Nissan sur pied. Quand on lit les articles de presse japonais au début de sa prise de fonction, il n'était pas bien accueilli. Il était décrit comme un cost killer. Il représentait ces nouveaux dirigeants de l'automobile, avec une moindre connaissance de l'industrie que la génération précédente. Mais il a redressé l'entreprise très rapidement. Et maintenant, dans l'alliance, c'est Nissan qui apporte le plus d'argent, avec un chiffre d'affaires supérieur à Renault.
Ghosn a supprimé un tiers de la chaîne de sous-traitance, c’est ce qui a le plus choqué au début. Il s’est avéré que ça a été la bonne décision pour Renault-Nissan. Les bases productives, comme l’achat des pièces, ont été mises en commun. Je considère surtout qu’il a très bien réussi cette alliance très spécifique. Les fusions acquisitions font l’histoire de l’automobile. Renault-Nissan, c’est autre chose. Nissan a moins de 20% des actions dans Renault, il a très peu de droit de vote, il ne peut pas prendre de décision au sein de Renault. Au contraire, Renault a quasiment la majorité et peut prendre les décisions au sein de Nissan. Ce n’est toutefois pas une acquisition complète, ça reste une alliance. Avec derrière deux Etats forts, le gouvernement japonais et le gouvernement français.
Que pourrait-il se passer désormais ?
Pour la première fois dans l'histoire de l'alliance, la question de la succession de Ghosn a fait son apparition lors du dernier conseil d'administration. Une short list a circulé, avec notamment le nom du numéro 2 de Toyota, le Français Didier Leroy. Ghosn a finalement réussi à garder la tête de l'entreprise mais un vrai numéro 2 a été nommé, Thierry Bolloré, qui semble être fort. Si jamais Ghosn doit partir, il faudra trouver quelqu'un qui puisse maintenir l'alliance en état. Je l'ai rencontré une ou deux fois, c'est un homme à poigne qui sait prendre des décisions, il a un charisme fort, il sait faire monter les personnes importantes comme s'en débarrasser quand il le faut. L'enjeu principal qui se profile est le maintien de cet équilibre instable, que Ghosn a assuré durant des années. Soit la personne qui le remplace peut tenir la barque, soit une gestion plus collégiale est mise en place, qui pourrait mettre à mal l'alliance.